Le statut de l'image est particulier dans notre société. Elle a valeur de témoignage et sa “vérité" est plus “directe" et “authentique" que tout autre. Ainsi un documentaire audiovisuel est souvent jugé plus fiable qu'un article de journal ou qu'un reportage radiophonique. D'un autre côté les gens ne sont pas dupes non plus et “savent", tout du moins fantasment, que l'image peut être truquée et trafiquées, mais plus que l'image elle-même c'est ceux qui la font qui seront alors mis en cause.
Certes l'image peut tromper comme elle peut dire la vérité. En fait l'image, comme n'importe quel autre support en dit rien d'autre que ce qu'elle véhicule. La vérité n'étant que la valeur d'une proposition, que celle-ci soit orale, textuelle ou visuelle cela ne change rien.
Sachant cela l'image animée n'est pas différente de n'importe quel autre moyen de relater des faits. Je dis des faits comme entités minimales de réalité, que celle-ci soit fictionnelle ou non.
Le paradoxe qui se pose alors est celui de l'utilisation de l'image dans le cadre des sciences humaines, sociales et cognitives. D'une certaine manière l'image rend directement accessible des événements, des faits, qui jusque là ne passaient que par le texte et le dire. La temporalité est différente, mais surtout la distance temporelle entre le fait et sa relation.
L'image filmée transporte en quelque sorte le fait avec elle-même alors que le texte ou de discours s'en éloigne toujours plus ne conservant que l'image cognitive: l'interprétation et la mémoire. En ce sens l'image serait un meilleur vecteur de vérité que le texte ou la parole. Filmer un événement permet de revenir “directement" sur lui alors qu'il est parfois difficile de retracer ce que fut “vraiment" cet événement en croisant des sources textuelles ou langagières.
Mais d'un autre côté les images “brutes" ne sont pas différentes des notes que prend l'anthropologue ou le philosophe lorsqu'il mène sont enquête. Ces notes ce sont des faits, des informations, des descriptions, des sensations, des références qui forment un amas accumulé que le chercheur doit ensuite organiser et structurer. Cette organisation et cette structuration n'est pas simplement un arrangement mais c'est surtout un tri, un recoupement, une synthèse. Il ne s'agit pas de tailler dans le gras et de passer la moitié de ces notes par dessus bord, mais de dessiner entre elles des relations qui permet de le regrouper en principes plus abstraits qui organisés composeront une théorie: théorie qui explique et rend compte de la situation, c'est la clé qui permet d'y voir plus clair et d'y comprendre quelque chose. Ce travail de synthèse et d'abstraction est aussi, sinon plus, difficile que le travail d'observation et de glanage d'information. Chez le chercheur ce travail est son travail, il vise directement et volontairement à la théorie. Mais ce travail de maturation peut se faire de manière plus indirecte et détournée par croisement de sources, passage de témoin et division collective du travail de mémoire en passant d'un conteur à un autre, d'une génération à une autre, d'un orateur à un autre. C'est pour cela que les contes, légendes, articles de journaux sont si importants, c'est que leurs structures même de production agissent comme autant d'alambics qui distillent l'humeur et la vapeur des faits tels qu'ils sont compris et qui en définitive donnent un concentré de la géographie conceptuelle et mentale de ceux qui les pensent. Ce processus est équivalent à celui de la théorie, à ceci près qu'il peut resté implicite dans une communauté, ce que le chercheur cherche à révéler.
L'image en elle-même n'est qu'un fait parmi d'autre. Le risque est de les accumuler ad nauseam jusqu'à les rendre tout à fait indigestes et incompréhensibles.
Le mal inverse serait de conclure à l'inaptitude de l'autonomie de l'image et de systématiquement la monter de manière narrative ou bien de lui adjoindre une voix off, une explication, un commentaire ou une illustration.
Si l'image filmique est comparable à une note alors son mode de réalisation doit être similaire à celui de la prise de note. Prendre une note est quelque chose de plus difficile qu'il n'y paraît au prime abord, cela demande de l'expertise et du savoir faire: savoir quoi prendre en note. L'anthropologue ou le philosophe est un être humain comme tout autre est pareillement est soumis à un flot constant et continu de faits, cependant il n'en note que certains: ceux qui sont pertinents pour son enquête et sa recherche. Un tri et une sélection s'opèrent donc déjà dans le choix du fait. Ensuite la note est synthétique, elle ne rend que certains traits caractéristiques du fait, ceux pertinents eux-aussi pour l'enquête. Ensuite ces notes elles-mêmes seront retravaillées et ainsi de suite.
L'image est donc similaire. Elle doit être pensée dans une optique particulière avant que d'être faite. Il serait tout aussi faut de dire que l'image est objective que de dire qu'elle est vraie. Cela ne signifie pas pour autant qu'elle soit subjective ou fausse, ces valeurs, je le répète, n'étant que des propriétés de proposition. Une image peut-être vraie ou fausse comme objective ou subjective, ce qui importe est ce qu'elle montre de la manière dont elle le montre.
Le cinéma vérité ou objectif n'existe pas en soi. Cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas se faire ni se construire.
Le paradoxe que doit surmonter ce type d'image animé est qu'à la fois elle doit rester un fait tout en même temps qu'être un regard, un parti pris, une interprétation de celui-ci. Cela revient à vouloir prendre la note parfaite sur le terrain, celle qui ne sera pas modifiée par le processus de théorisation. C'est à la fois l'immédiat et l'absolu, le concret et l'abstrait. Ce n'est pas impossible c'est ce qu'on appel des idées ou des concepts, mais c'est très très très difficile à faire. Less is more, mais c'est évidemment là toute la difficulté.
Celui qui voudrait pendre des images au lieu de penser en se disant que ce sera plus sûr et plus facile se trompe lourdement.
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