Voilà une semaine maintenant que je suis revenu du Gabon où j'étais invité à suivre la Tropicale Amissa Bongo 2010. Vous ne connaissez pas la Tropicale Amissa? Pourtant une horde de média était présente cette année, mais peut-être que vous ne la connaissez pas aussi parce que vous ne suspectez pas qu'il puisse y avoir une course cycliste de première catégorie au Gabon. Une course de première catégorie signifie la présence d'équipes professionnelles, ici Cofidis, AG2R ou encore Bbox pour ne citer qu'elles.
Et oui, au Gabon il y a aussi des coureurs cyclistes. Je sais, un noir sur un vélo est aussi impensable qu'un blanc vainqueur du 100 mètre, et pourtant.
Le plus frappant dans cette aventure est justement la confrontation aux préjugés. Je pensais en avoir moins que les autres, l'arrogance des études sans doute, mais cette première fois au Gabon fut véritablement une claque. D'abord parce que le Gabon est très vert, étonnamment vert et que cela fini par être dérangeant pour un pays d'Afrique. On en avait presque oublié la forêt tropicale. Il y fait chaud, une trentaine de degrés mais le taux très élevé d'humidité (qui frôle les 100%) rend la chaleur plus supportable que je l'avais imaginée. La beauté du peuple ensuite et sa manière si littéraire de manier le français renvoie le parlé parisien au rang de patois local.
Le dénuement. La pauvreté est un concept vide et abstrait lorsqu'on n'y est pas confronté directement. Mais si la chaleur de là-bas n'a rien à voir avec celle de nos latitudes, la pauvreté non plus. Ici les gens sont pauvres lorsqu'ils ne peuvent suivre le rythme effréné de la consommation, ils sont pauvres de vivres dans les logements insalubres, lorsque l'évier fuit et que le chauffage ne marche pas. Ici les pauvres le sont parce qu'ils leur manquent quelque chose.
Là-bas, j'ai traversé des villages où il n'y a rien. Des cahutes en taule ondulée sous la chaleur, une pompe à eau pour l'ensemble, pas d'électricité. De la terre battue, des pièces minuscules qui se confondent avec la maisonnée entière, pas d'ouverture autre que la porte qui ferme mal. Il n'y a rien. Le dénuement est tel qu'on se demande par où commencer. Mais ces gens là ne demandent pas. Ils n'ont rien mais n'ont même pas l'air de s'en rendre compte. Ils sont juste souriants et vous parlent avec un peu de crainte et d'appréhension au début puis jovialement dans un français raffiné. Ils se débrouillent et bricolent avec une ingéniosité réelle qui fait que rien n'est inutilisé, même si c'est pour tout autre chose que sa fonction première.
L'étudiante qui m'avait invité à découvrir son pays me disait une fois qu'elle ne s'était jamais sentie aussi “noire" qu'en France. L'inverse est vrai, jamais je n'avais ressenti le fait d'être “blanc". Inévitablement sans doute en ai-je pris les plis et les travers néo-colonialiste: difficile de s'empêcher de tutoyer quelqu'un de plus jeune alors qu'il nous appelle “monsieur Benjamin". Je veux croire que je fais la même chose ici mais je n'en suis pas certain non plus.
L'un des enseignements de ce voyage, outre le monde du cyclisme et celui des journalistes qui méritent un article à eux seuls, il y a celui de la difficulté de vivre “simplement", sans tout l'attirail que nous ne voyons même plus et qui nous déboussole tant lorsqu'il nous manque. Les chaussures, les chapeaux, les crèmes solaires ou anti-moustiques, les appareils photos et autres montres, mais aussi plus bêtement les lunettes de vue. J'ai croisé bien peu de Gabonais dans l'arrière pays équipés de lunettes alors qu'ils ne doivent pas en avoir moins besoin que nous.
C'est ce genre de voyage qui bien que de bons hôtels en bons hôtels en berlines climatisées laisse des traces et nous rappelle combien nous sommes peu de chose et encore moins sans tout le bardas auquel nous nous agrippons.
J'essaie encore de mettre un peu d'ordre dans mes notes et mes images pour en dégager quelque chose de plus consistant, mais il fallait déjà commencer par des premières impressions.