La question pourrait une question de mots, mais ce n'est pas de terminologie dont je voudrais parler ici, mais plutôt de l'objet même qu'est, que peut-être ou que devrait être le documentaire.
L'une des difficultés majeures liée à cette question est celle de l'utilité, de l'utilisation ou de l'usage du documentaire. L'actualité nous montre l'importance de cette difficulté. Il est simple de réagir à chaud à un événement, de laisser l'émotion prendre le dessus et rendre compte de l'événement par cette émotion. C'est ce que font les médias dans leur majorité. Le problème qui survient alors est double: d'une part il concerne la compréhension de l'événement, en regardant les réactions qu'il a suscitées, en ne retenant qu'elles l'événement lui-même tend à disparaître et à être occulté, l'autre est la cohérence et la consistance de ces réactions. Dans le temps ces réactions peuvent se modifier, différer jusqu'à brouiller tout à fait le compte-rendu et l'événement lui-même ou bien, ce qui est une variante, deux événements du même type peuvent faire l'objet de réactions très différentes de la part des mêmes personnes ce qui rend très confus la lecture de ces événements et finalement de ces réactions.
L'actualité nous fournie l'exemple du viol: deux viols commis par des personnes différentes dans des conditions qui peuvent être comparées, mais l'un suscite l'indignation, l'autre la clémence ou le pardon.
Le documentaire en tant que genre qu'il soit textuel, photographique, radiophonique, cinématographique ou autre ne doit pas tomber dans ces travers parce que sa fonction est autre. Le documentaire doit rendre compte de l'événement. Rendre compte est à comprendre au sens fort du terme, rendre des raisons, rendre justice. Cela implique de comprendre l'événement, sa structure, son espace, son développement, où il commence et où il fini, quelles sont ses causes et ses conséquences, etc. Cela impose un travail minutieux de recherche et d'analyse au préalable dont il est fait la synthèse dans une exposition.
Toute recherche, toute analyse, toute compréhension est une perspective sur un événement ou un objet. Dire cela c'est dire qu'une perspective n'est jamais neutre et en ce sens ne correspond jamais à l'objectivité telle qu'elle est comprise par le sens commun. L'erreur, j'ai déjà eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, serait de considérer que de pas prendre de perspective permet d'atteindre cette objectivité quitte à laisser tourner la caméra sans opérateur ou prendre des images au hasard. Cela ne conduit pas à l'objectivité mais à des images vides ou des textes sans sens.
L'objectivité du documentaire est la même que celle de n'importe quelle recherche scientifique et en particulier en sciences humaines. L'objectivité vient s'il est rendu pleinement justice à l'objet de la recherche, s'il est exposé dans son ensemble ou dû moins dans l'ensemble de ses caractères essentiels, que la perspective de la recherche est clairement définie et affichée, transparente, qu'elle est discutée et argumentée, cohérente et consistante. On ne demande pas une réponse définitive, on demande un élément consistant de réponse.
Le test le plus simple dans cet exercice est celui du temps. Si un documentaire (comme tout document) résiste au temps alors il a de bonnes chances d'être de valeur. Résister au temps signifie par exemple pouvoir être regardé plusieurs fois à différents intervalles et toujours capter l'attention du spectateur ou, ce qui est mieux, pouvoir faire l'objet à différents moments, d'analyses et d'interprétations différentes sur ses mêmes bases. Si le document résiste à cela, alors il présente quelque chose et c'est ce qu'on lui demande.
Évidemment tout cela peut intervenir à plusieurs niveaux. Un document peut-être intéressant par son contenu, ce qu'il dit, ce qu'il expose, c'est le cas par exemple de beaucoup d'ouvrages anciens qu'on lit et étudie toujours à l'heure actuelle, mais il peut être intéressant également d'un point de vue technique pour ses trouvailles ou ses utilisations d'outils et de moyens, ou encore en tant de document relatif à une époque, en tant que témoignage de son temps, etc.
Mais on le voit, pour aboutir à cela il faut se prémunir de la réaction immédiate, de la précipitation et de la facilité. Préparer un documentaire exige de la réflexion, celle-ci peut aller assez vite avec un bon entraînement et une bonne pratique, mais exige toujours de considérer l'objet de la recherche pour lui-même et en lui-même, de développer une stratégie, une perspective pour le comprendre et l'exposer pour quelqu'un.
Un véritable travail en soi, bien plus difficile qu'il n'y parait sans pourtant être impossible.
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