L'idée que l'image puisse servir d'outil de connaissance ne va visiblement pas de soi. Même si l'on admet que l'image peut servir à étudier une époque en tant que témoignage, reste à savoir ce qu'on entend pas là: tantôt il semble que ce soit la subjectivité de l'auteur qui permet de comprendre cela, tantôt l'image en tant que produit d'une époque. Mais dans les deux cas ce n'est pas l'image qui est vue mais son mode de production.
Dire que l'image peut servir d'outil de connaissance c'est dire que l'image en elle-même dit quelque chose, un peu comme un livre dit quelque chose, indépendamment en en plus de son mode d'élaboration. Lire Descartes ou Malebranche au XXIe siècle peut avoir un sens parce qu'il est possible de comprendre leurs ouvrages même en ne connaissant rien (admettons) du contexte dans lequel ils ont été écrit. D'une certaine manière ces livres sont contemporains ou peuvent l'être parce qu'il est possible de les comprendre, de les interpréter dans un contexte contemporain différent du leur propre. Un sémioticien dirait qu'il est possible de trouver une “sémiose" qui comprend ces ouvrages et le présent. Il en va de même d'une œuvre d'art.
Mais est-il possible de comprendre une image autrement qu'en tant qu'œuvre d'art?
Tout comme un texte peut-être littéraire ou philosophique, la typologie de l'image est plus riche et complexe que simplement bipartite entre art et publicité.
Un lecteur est capable de distinguer un ouvrage de philosophie d'un ouvrage de littérature par ce que ces ouvrages sont différents, leurs structures sont différentes parce que leurs objectifs, leurs buts, leurs fonctions sont différents. Dire cela n'est rien dire des qualités stylistiques de ces ouvrages. Un ouvrage de philosophie peut-être remarquablement bien écrit, agréable à lire est figurer au panthéon de la grande littérature au même titre qu'un roman ou une nouvelle, la question n'est pas là.
L'image en tant qu'outil a été relativement bien et rapidement accepté par les sciences dures. L'astrophysique ou la biologie moléculaires utilisent des images sans aucun problème et ont mêmes développés des critères de lecture et d'interprétation tout comme pour les textes scientifiques.
Le problème est plus coriace pour les sciences “molles" comme les sciences humaines. L'image a été utilisée au début pour des sciences “à cheval", entre deux, “tendres" peut-être comme la physiologie ou la criminologie, puis par les “humanités" comme la sociologie, l'anthropologie ou l'ethnologie. Balinese Character marque véritablement un tournant tout comme photographies de Evans, Curtis ou les films de Rouch, Gardner ou Wiseman.
Si ces images sont devenues des œuvres d'art à part entières, c'est que leur mode de lecture a un peu changé et qu'on ne les regarde plus de la même manière. C'est un peu lire Diderot ou Voltaire pour de la bonne littérature romanesque avant de les lire comme des œuvres philosophiques. C'est plus la grille de lecture qui serait à blâmer, si jamais, que les œuvres elles-mêmes.
Les images scientifiques, qu'elles soient dures ou molles, disent quelque chose autant que le texte qui les accompagne ou qu'elles remplacent. Une image ne vaut pour mille mots comme dit le proverbe que si mille mots peuvent être énoncés pour dire la même chose. Or beaucoup d'images ne passent pas ce test minimal et en définitive ne disent pas tant quand elles disent quelque chose.
L'image peut parler, dire beaucoup même, être vue et revue comme un bon livre peut être lu et relu, à condition que (1) quelque chose soit dit, (2) soit exprimé, (3) soit compréhensible. Trois étapes nécessaires et cruciales qui trop souvent restent ignorées et les images qui en découlent ne disent rien, ne crient rien mais ne sont même pas des sifflements, ce ne sont que des remplissages. On sait que la nature à horreur du vide, est-ce seulement une raison pour la combler de vent?
Une image, pour dire quelque chose doit être construite, tout comme un texte, pour être philosophique, doit répondre à certaines contraintes. Ces contraintes ne sont pas des barrières ou des limites mais plutôt une ossature qui étaye le propos afin de le développer et de le faire tenir et perdurer, à l'instar d'un bâti qui doit avoir une structure porteuse stable et fiable.
Comme on ne s'improvise pas architecte, on ne fait pas des images à l'improviste.
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