Il doit y avoir une bonne manière de poser le problème, sinon la question, de l'identité nationale, mais tel qu'il est posé il l'est mal. D'abord il y a la question de la terminologie: “identité" et “nationale" sont des termes connotés qui charrient plus que de besoin. Ensuite, il y a le pourquoi de la question. Une question ne peut être posée sans finalité, simplement parce que toute réponse, quelle qu'elle soit, est une motivation pour l'action. In abstracto ce débat n'en est pas un et ne peut en être un. Quels sont donc les tenants et les aboutissants et les intentions de ceux qui posent la question? C'est une première à laquelle il faudrait poser.
Au Panthéon des grands Hommes de la nation, à l'entrée, se font face les cénotaphes de Voltaire et de Rousseau, tous deux considérés comme des pairs de la nation (et non pas des pères) parce qu'ils ont contribué à forger ce qu'on a appelé par la suite "l'esprit français" et des Lumières. Et ces termes et ces noms ressurgissent dans le débat comme un patronage bienveillant. Or ce serait oublier un peu vite que Rousseau n'était pas français mais Genevois et que Voltaire n'a pu vivre qu'aux frontières de la France. Le Panthéon des grands Hommes (ce qui inclue bien évidemment les femmes) est peuplé de grands Hommes mais peu de français au sens étroit du terme, sens qui justement oppose le français à l'immigré par exemple. Marie Curie n'était pas “français" comme le poulet de Bresse est un poulet de Bresse. Picasso, Van Gogh, Stravinski, Julien Green, Brel ou Marguerite Yourcenar ne sont pas français et pourtant nous les associons et les assimilons à la France et à son patrimoine justement parce qu'ils y ont contribué.
Alors voilà, d’aucuns diront que la différence entre le méchant immigré et le bon est que le dernier “apporte" quelque chose à la France, l'enrichie alors que l'autre en profite et la dépouille. Si le débat est comptable, je ne suis pas certain que la France en sorte grandie. Aucun de ces grands noms de la “culture française", mais “culture francophone" serait plus juste n'a terminé sereinement son existence en France. Pensez même à Descartes qu'on site en héros national qui n'a eu pour choix de vie que l'exile. On revendique Hugo et c'est bien à cause d'un débat mal pesé du même tonneau qu'il a dû chercher refuge ailleurs.
Que la France ait des valeurs, qu'il y ait un esprit français cela ne fait aucun doute, et c'est justement cet esprit qui en a fait et qui fait sa grandeur. C'est parce qu'il était possible d'éditer l'Encyclopédie en France qu'elle a pu se faire en France, mais n'oublions pas que Descartes écrivait aussi en latin.
Vouloir enfermer un esprit dans une boite à catégorie c'est le taxidermiser dans une boite à papillon comme dirait Céline, autre grandeur de la littérature française qui en illustre aussi le paradoxe.
Vous voulez parler de culture, de vision politique, de valeurs, soit, mais ce n'est pas parler d'hommes et de femmes, de flux de population ou de billets de banque. Poser ce débat en ces termes c'est faire le jeu de la différence. Souvenez-vous du couteau sans lame auquel il manque le manche. À chercher l'essence du français vous n'allez trouvez que du vide ou des choses que vous ne voudriez pas voir. Si vous le posez en termes de valeurs alors il faudra accepter que certains qui ne viennent pas de ces contrées puissent les incarner et les faire vivre mieux que d'autres et que de bons vieux franchouillards de sang et de terre préféreront se vendre à l'ennemie plutôt que de risquer de les défendre. Parce que tous les français de carte d'identité ne font pas tous vivre ces valeurs, cette culture, cette langue et une vision qui sont celles que nous voudrions que la France défende.
N'oubliez pas non plus que tous les grands Hommes du Panthéon dont on retient le nom ont été des dissidents car les valeurs qu'ils ont fait émergées ne l'étaient pas de leur temps. N'oubliez pas qu'au moment des Lumières et de la mise en place de des droits de l'Homme la politique n'était que Terreur et tyrannie.
Le risque d'un débat mal posé est de n'entendre que ceux qu'on aimerait faire taire. Les autres œuvrent en silence, justement pour faire alors que d'autres palabrent.