Les sectes sont-elles ou non un problème? Cette question fait suite aux propos d'une directrice de cabinet du président de la République qui affirme qu'elles n'en sont pas. On connaît l'importance de cette question dans le climat actuel ou le religieux refait une entrée fracassante dans le politique.
La question plus générale est celle de savoir s'il est possible de croire tout ce qu'on veut. Au nom d'un cinquième amendement laxiste ou d'une liberté de pensée, on pourrait croire que oui. Imaginons par exemple quelqu'un qui croit que les autres ne peuvent pas croire, est-ce là ou non une limite à cette liberté de croyance?
Dans une copie de lycée la maxime “ma liberté s'arrête là où commence celle des autres" n'est pas rare, mais elle n'est pas juste non plus. La liberté n'est pas une notion individuelle mais bien collective. Il serait un peu moins faux de dire que la liberté commence là où commence celle des autres, à moins que l'on souhaite un monde de brutes et de truands. Il en va de même pour a liberté de croire. Croire, contrairement à ce que voudrait penser les dogmatistes n'est pas une affaire privée. La croyance est une représentation du monde, une carte mentale sur laquelle l'agent, celui qui croit, agit. Je crois qu'il va pleuvoir, alors je prends mon parapluie. Je crois que les pommes sont meilleurs que les poires, alors je choisi une pomme. On croit pour agir. Et on agit parce qu'on choisi. La croyance est une condition du choix, une manière de ranger le monde avant de choisir une option dessus. La croyance a une fonction, une utilité, celle de permettre le choix. Et le choix à son tour doit être pratique, il doit permettre l'action. Et l'action doit réussir. Donc pour que l'action soit un succès il faut que le choix soit pertinent et pour que le choix soit pertinent il faut que la croyance soit rationnelle, c'est-à-dire qu'elle colle, d'une manière ou d'une autre, avec ce qu'est le monde, quel qu'il soit.
Le pari que nous offre Pascal est parfaitement rationnel: vous avez tout à gagner à croire en Dieu et rien à perdre, alors que vous risquer tout perdre et de ne rien gagner à ne pas croire. Mais la conclusion qu'il faut en tirer n'est pas qu'il faut courir dans la première église ou secte venue pour se convertir bêtement. Ce que nous dit Pascal c'est que la perspective de nos choix doit guider ceux-ci. Mieux vaut choisir ce qui nous permettra le plus grand choix et donc le plus grand gain qu'un gain qui nous paraît plus désirable maintenant mais qui nous coupe tout autre choix ensuite. Un bien vaut mieux que deux tu l'auras dit le pragmatique, ce que nous dit Pascal c'est qu'il vaut mieux un petit bien et plus demain qu'un seul définitif. On sait qu'un enfant a du mal à comprendre cela.
La croyance permet le choix et le choix l'action. La croyance doit donc prendre en considération ses conséquences. Toute croyance n'est donc pas bonne. Certains sont foncièrement mauvaises. Croire que se tirer une balle dans la tête permettra d'éviter un choix à faire est une mauvaise croyance, car elle met un terme à tout choix possible. Croire que ne pas croire est une bonne chose n'est pas une excellente croyance non plus car elle est inutilement paradoxale sans cesser d'être une croyance. Croire que personne d'autre que soi ne devrait pouvoir croire est aussi quelque chose d'assez dangereux car il suffit que par hasard quelqu'un autre ai la même idée pour que la notre ne vaille plus grand chose.
Dans le même ordre d'idée il serait vain de penser ou de croire qu'il serait possible de déléguer ses croyances, ses choix ou ses actions. Imaginez quelqu'un qui dirait qu'il ne veut pas décider et qui laisserait cette charge à quelqu'un autre en se soumettant à sa décision. Cet homme choisirait volontairement la servitude mentale. Mais c'est d'une part déjà là un choix et une croyance de sa part, et d'autre part, surtout, celle croyance est une irresponsabilité pour la croyance même. Cela reviendrait à dire qu'étant contre la violence je préfère donner mon pistolet à celui qui est violent pour qu'il en face ce que bon lui semble! C'est tout simplement suicidaire! Si celui à qui on a donner son pouvoir de croyance décidait que vous ne pouviez plus croire. Vous me diriez que cela étant paradoxal cela resterait tout de même une croyance et donc que cela est tout à fait impossible. Mais rappelez vous que la croyance n'est une moment dans une chaîne qui passe par le choix et l'action. La croyance de départ pourrait très bien rester une croyance, croire de ne pas croire ou de croire à quelque chose qui ne nous laisse pas croire. C'est une croyance et cela reste une croyance: accordé. Cependant cette croyance bloque le choix et l'action. Cette personne peut ainsi, sur la base de votre croyance, vous forcer à faire quelque chose que vous n'avez pas décidé, choisi, de faire, que vous soyez d'accord ou non avec cette action. En somme, en décidant de croire de ne pas croire pas vous même c'est votre liberté que vous perdez, liberté d'action et donc de penser et donc de croyance.
La liberté de penser et d'action est en péril à chaque fois que la chaîne qui part de la croyance à l'action en passant par le choix n'est plus à la maîtrise de celui qui croit, choisi et agi. Cette liberté est en péril à chaque fois que l'on postule à un moment où un autre de cette chaîne que l'un de ces maillons nous échappe, qu'il soit du ressort de la Nature, du Destin ou d'un Dieu. Notez que cela ne signifie pas que le Monde ne soit pas gouverné en définitive par la Nature, le Destin ou Dieu. La question ici n'est pas sur la nature des choses, mais sur la représentation humaine que nous en avons, ce qui n'est pas la même chose. Donc postuler un être supérieur qui décide pour nous est une limite à la croyance.
Revenons-en à la possibilité de croire tout ce que l'on veut au nom de la liberté. La croyance devant être rationnelle et raisonnable elle doit impliquer qu'une croyance en quelqu'un à qui on pourrait déléguer sa croyance n'est pas une croyance rationnelle et raisonnable et donc ne devrait pas être crue. Étendu, ce principe de raisonnabilité ou de rationnabilité de la croyance s'énonce comme “tout croyance doit être raisonnable" et donc "ma croyance commence là où elle devient raisonnable". Cet espace de rationalité de la croyance est le même pour tous, pour tous ceux qui croient. Ma croyance n'est donc pas un territoire clos que je dois barricader contre celles des autres, mais je peux la laisser ouverte et je dois rationnellement la laisser ouverte à tous dans la mesure où ces croyances, la mienne et celles des autres, se situent dans l'espace du rationnel. La croyance commence là où commence celle des autres, et donc ma liberté commence là où commence celle des autres.
Le propos est simple. La difficulté vient d'une embrouillamini de langage. Quelqu'un qui se dirait libre de librement donner sa liberté à un autre n'est pas quelqu'un de libre, c'est un serf, un esclave. Il se dit libre, il se croit libre, il est en fait soumis et enchaîné. Quelqu'un qui croit qu'il peut croire à quelqu'un qui croit pour lui n'est pas plus libre. Assujetti, déférent il est aussi soumis que l'esclave et aussi responsable de sa situation que le serviteur volontaire. Seul l'aliéné ne croit pas de lui-même.
Il ne faudrait pas croire que ne pas croire par procuration signifie être athée ou agnostique. Un athée, un agnostique peut tout aussi bien être aussi servile qu'un croyant zélé. Non, tout ce que cela signifie c'est que la croyance doit toujours être comprise en relation avec les choix et les actions de celui qui croit et donc toujours être conforme à ce qu'il veut et à ce qu'il fait. Un tel croyant est rationnel et ne peut que l'être. Ce qu'on peut regretter c'est qu'il soit si rare.
Les sectes sont donc un problème, mais non pas pour la France mais pour l'Homme en général, et par secte il faut entendre tout ce qui prétend, d'une manière ou d'une autre penser, croire, choisir, vouloir et agir à notre place.
Cette définition, vous l'aurez compris, est plus large que celle entendu généralement par ceux qui en parlent.
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