Peut-on, ou plutôt, doit-on se passer de scénario lorsqu'on entend rendre compte de la réalité par l'audiovisuel? Cette question est une antienne récurante. Outre la question de la réalité et de la vérité voire de la véracité, deux approches s'affrontent.
La première dirait que la réalité, quelle qu'elle soit, se saisi toujours sur le vif: il s'agit de d'attraper ce qui se passe avant, peut-être, de le décortiquer plus tard pour en rendre compte ou l'expliquer. Est alors saisi un événement qui se manifeste par lui-même par sa singularité et sa rupture avec le flux des autres actions. Une balle est tirée, une femme s'effondre, une voiture passe à une allure inhabituelle ou bien on suit un commando ou une troupe de soldats en s'attendant à ce que quelque chose se passe.
La seconde considère qu'aucun événement n'advient s'il n'est expliqué et justifié. Tout élément perturbateur est soit une exception dont il faudra rendre compte ou bien un prétexte pour révéler une attitude, un comportement ou une position de la situation en dehors de cet imprévu. En somme l'exceptionnel est le moins intéressant car le moins courant et le moins habituel.
La première approche est celle du reportage. On se rend sur place parce qu'il se passe (s'est passé ou va se passer) quelque chose d'extraordinaire. On saisi ce qui se passe sans prendre gare à ce qui se passe. L'observateur en étant témoin est acteur, même passif, de la situation dans la mesure où celle-ci l'englobe et le dépasse, au risque parfois d'y laisser sa vie. L'observation ne parvient pas à délimiter et circonscrire ce qui ce passe et donc à l'expliquer et à en rendre compte. Cette attitude se détache et condamne même toute scénarisation, mise en scène, en forme ou en écriture de ce qui se passe sous prétexte de saisir l'instant tel qu'il se présente. Ceci fait abstraction, évidemment, de la sélection préalable de cet événement comme événement digne d'intérêt plutôt qu'autre chose et ses répercutions sur ce qui est filmé, montré et suivi.
La seconde approche est celle du documentaire. Au lieu de “rapporter" le documentaire “documente" ou se documente. Rien n'est filmé dans l'instant ou dans la précipitation mais ce qui est montré procède d'une “observation" et donc d'une recherche préalable de ce qui y a ou ce qu'il faut montrer: le documentaire sélectionne des documents qui rendent compte d'une “réalité". Cette réalité est construite comme un cadre de représentations, d'explications et de comportements qui manifestent un certain rapport au monde, ce que j'ai par ailleurs expliqué comme étant des conceptions ou des formes de croyances. Cette pratique exige de comprendre ce que l'on filme et de ne montrer que ce qui permet de restituer cette conception du monde qui est le thème centrale du documentaire. Le documentaire est donc construit et cette construction est un scénario, certes pas au sens romanesque de la fiction, mais est narratif comme l'est un travail de recherche, i.e. au sens d'une exposition et d'une démonstration.
Ces deux approches, qui évidemment ne contraignent pas l'ensembles des pratiques audiovisuelles doivent être clairement distinguées et ne doivent pas être confondues. Sans juger de la supériorité de l'une sur l'autre, elles sont toutes les deux aussi respectables et intéressantes, mais n'ont ni les mêmes fonctions ni les mêmes propos.
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