Fiction ou réalité, telle est la question.
Cette distinction est l'une de celles utilisées pour démarquer le film fictionnel ou romancé du documentaire, mais c'est aussi une distinction que la plus part des auteurs refusent, du moins ceux à qui l'on pose la question.
D'un côté cette distinction semble tout à fait légitime. Par fiction serait entendu tout ce qui est sorti de la tête ou de l'imagination de le l'auteur alors qua réalité désignerait ce qui vient du monde et que l'auteur ne ferait que capter avec son moyen d'expression.
Derrière une telle distinction semble parfois ressortir un relent de critique envers la fiction qui serait une moindre réalité ou bien au contraire du documentaire - si tant est qu'il corresponde à la réalité - pour manque d'imagination et de créativité.
De manière essentielle cette distinction est évidemment problématique. Elle tend à recouper l'opposition entre un réalisme d'un côté et un empirisme de l'autre. Or si cette opposition peut avoir un sens dans une épistémologie il est difficile de voir lequel elle pourrait avoir dans une esthétique.
Une fiction qui ne se nourrirait pas de la réalité aurait bien peu de chance de ressembler à quelque chose, non seulement parce que cela signifierait que son auteur est totalement transparent, ce qui est déjà difficile à concevoir, mais également et surtout qu'elle serait absolument incompréhensible à un public humain qui lui se base pas mal sur la réalité pour ancrer la signification des choses. Toute fiction, d'une manière ou d'une autre, se rattache à la réalité, soit pour la dépasser, la transformer ou la nier, mais elle reste comprise par rapport à la réalité. Le problème est alors de savoir ce qu'il faut entendre par réalité. Réalité peut être entendu dans un sens strict étroit comme tout ce qui ne dépend pas de l'Homme, ou bien d'une manière plus large comme tout ce qui ne dépend pas d'un homme en particulier. Dans le premier cas cela regroupe tout ce qui est lorsque vous enlever les humains du tableau, dans l'autre n'est réel que ce qui peut être commun au moins à deux êtres humains, ceux-ci restent donc dans le cadre mais on enlève tout ce qui se passe dans l'esprit d'un seul et qui ne se retrouve dans aucun autre. La fiction comme exempte de toute réalité dans le premier sens est inaccessible à l'Homme et donc ne peut pas correspondre à la fiction telle que nous en parlons. La fiction exempte de réalité dans le second sens serait un langage privé absolument incompréhensible à tout autre que celui qui le pense. Dans les deux cas la chose n'est pas souhaitable.
Maintenant le problème est symétrique pour la réalité. Si la réalité est tout ce qui est indépendamment des Hommes alors elles est inaccessibles et si elle est ce qui est commun au moins à deux êtres humains différents, alors elle est très vaste.
La réalité et la fiction ne serait que deux nuances d'un spectre coincé entre un monde privé et un monde dépeuplé. Vu de cette manière je crois que la question prend une autre forme.
Cependant il serait également intéressant de se poser la question du statu de l'histoire dans l'espace épistémologique. En effet ce bipolarisme est trop étroit. Personne n'est vraiment réaliste pur et dur comme personne n'est empiriste fanatique. Mais certains voudraient n'être ni l'un ni l'autre. Certains objets que l'on peut penser ont un statu bizarre, que l'on appel “universaux" ou “abstraits" qui correspondent à des entités uniques, clairement définissables et distinguables d'autres entités et qui pourtant n'ont aucune existence sensible en propre. Ces entités comme “chaise" par exemple qui désigne n'importe quelle chaise sans n'être aucune en particulier, “liberté" ou “π", sont un casse tête pour les ontologues. Si certains continuent à vouloir les faire réelles ou bien au contraire idéales, d'autres proposent de les mettre ailleurs, dans un “troisième royaume" pour reprendre l'expression de Gottlob Frege, un monde situé entre les deux, entre la réalité dépeuplée et l'expérience sensible humaine.
Qu'est-ce que ce troisième monde? Ce “juste milieu" correspond aux “conceptions", c'est-à-dire au réseau de concepts organisés pour désigner de manière complexe. Une histoire, une théorie mathématique, une carte topographique sont autant de représentations complexes dans le sens où elles font intervenir plusieurs représentations combinées entre elles afin d'en former une nouvelle. Ces conceptions sont des constructions mentales, composées de concepts articulés entres eux. Ces concepts sont réels aux sens où ils sont publics. Cependant ils dépendent grandement des Hommes puisque la communication et les échanges entre humains les modifient. Si vous enleviez les agents cognitifs du monde, les concepts n'apparaîtraient pas. Mais les concepts ne sont pas accessible par l'expérience au sens usuel du terme, ils ne se sentent pas à l'aide des sens qui nous mettent en contact avec le monde sensible. Ils sont accessible par la pensé, l'esprit, la réflexion, le langage, la culture. Si certains veulent considérer que c'est un sixième (ou plus) sens, qu'ils le fassent mais comme il n'est pas coutume de le dire, certains préfèrent considérer qu'il y a un entre-deux entre la réalité brute et l'expérience sensible.
L'espace des conceptions est certainement un très bon lieu où mettre le scénario, entre fiction pure et réalité brute. C'est un espace de pensée, nourri et enrichi de réalité mais qui est une manière de la structurer, de la dessiner et de la modeler pour l'expérimenter, la dépasser et la comprendre. Certains essaient d'y coller au plus près, d'autres au contraire de voir jusqu'où il est possible de s'en éloigner. Ce spectre, entre autre est celui de l'art et celui du scénario.
Tout comme aucune construction humaine est dénuée de scénario, aucune conception n'est exempte de réalité, ni de fiction d'ailleurs.
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