Dans une petite ville comme la France en compte beaucoup, il y avait une usine. Cette usine confectionnait des pièces de textile. L'usine était implantée depuis plusieurs générations déjà, jouissait d'une certaine réputation et avait fini par se confondre avec la ville, elle en était l'âme ouvrière.
Dans cette ville il y avait ceux qui travaillent à l'usine de textile et ceux qui travaillaient pour. Que ce fut le médecin, les commerçants ou les instituteurs, qui que ce fut d'une manière ou d'une autre son destin finissait par être lié en moins de deux coups à celui de l'usine.
La crise passa par là. La responsabilité de celle-ci n'est pas tout à faire claire mais elle passa par là avec pour effet de se séparer d'une partie du personnel et de délocaliser une partie de la production dans des pays en voie de développement, en particulier en Inde ou l'usine avait ouvert une succursale. Cette vague de licenciement qui affecta tout de même près d'un tiers du personnel provoqua un certain émoi dans la communauté et la ville se mobilisa. Une grève fut commencée mais larvée et la direction menaça de fermer définitivement l'ensemble du site si elle continuait. Le fait que seuls les jeunes arrivants, les intérimaires, les CDD et quelques départs en retraites furent concernés motiva les troupes et la survie de l'entreprise fut préférée au sort des infortunés, après assurance que finalement cela ne concernait pas les “vrais".
L'économie de la petite ville en fut affectée mais l'usine quant à elle se portait bien. Quelques commerçants durent fermer leur rideau et quelques familles partir, mais un équilibre précaire se remit en place tant bien que mal et on oublia les infortunés, préoccupé par la prochaine crise qu'on ne manquait pas d'annoncer.
Or ces infortunés l'étaient vraiment. Le chômage les indemnisa un temps et la direction promis un plan social qui finalement tomba aux oubliettes avec cette nouvelle perturbation providentielle et la pression de la mondialisation. L’usine reçue même une aide.
Mais l'ouvrier même le plus bête peut être malin. L'un d'eux alla demander conseil à un avocat et le tout fut porté devant les prud‘ hommes et la justice.
L'affaire s'enlisa mais fini tout de même par aboutir. Le tort sur imputé à l'usine qui n'avait pas proposé de reclassement et fait aboutir son plan social. Les indemnités compensatoires furent portées à plusieurs centaines de milliers d'euros, somme colossale mais juste et justifié, qui dans le fond ne correspondaient qu'à ce qui aurait dû être donné.
Mais voilà que la direction affirme que l'usine ne peut pas payer une telle somme dans le contexte actuel sans mettre en péril l'existence même de l'usine. Crise oblige.
Alors les employés, les ouvriers et même les commerçants, les professions libérales, les responsables politiques et même syndicaux crient haut et fort que ces infortunés veulent tuer l'entreprise et la ville. Ils ne comprennent même pas qu'ils soient restés ici alors qu'ils n'avaient plus rien à y faire n'ayant plus d'emploi, ne faisant plus vivre la ville et plombant l'assistance publique. On se souvient soudain d'eux et les considéra comme des parasites. Ils auraient dû laisser l'affaire et d'ailleurs le fait qu'ils aient consacré autant d'énergie pour se venger, car il s'agissait bien, aux yeux du bien pensant, d'une vengeance démontrait avec éclat la perfidie de cette gangrène.
Si la justice s'était trompée et avait l'inconscience de préférer faire fermer une usine au lieu de comprendre que le bien commun exige parfois le sacrifice de certains, alors que cela ne tienne et l'affaire sera réglée de manière plus directe et locale.
C'est ainsi que commencèrent les pressions sur les infortunés. Un voisin qui ne leur adresse plus la parole, les remontrances faites aux enfants dans la cour d'école ou à la sortie par les parents d'élèves, les commerçants qui n'accordent plus crédit ou qui refusent de servir, les pneus crevés et même un passage à tabac.
La ville ne s'en est jamais remise. On ne sait toujours pas si c'est pour cette raison ou non que l'usine à fermée ses portes. La seule chose que l'on sait est que personne, ni des anciens ni des nouveaux infortunés ne fut jamais reclassé ou indemnisé et le bureau de l'emploi n'a toujours pas traité leurs dossiers. La direction de l'usine à soudainement disparu après avoir touché une dernière aide de l'État.
La seule chose que l'on sache est que depuis quelques temps des vêtements de la même marque ont refait surface sur dans les rayons. Une étiquette mal coupée indique bien que le produit est “Made in France" mais les yeux experts d'anciennes coupeuses affirment que c'est un travail similaire à celui que produisait la succursale indienne.
On aurait pu penser que ces dernières épreuves aurait resserré les liens au sein de la communauté, mais c'est bien le contraire qui se produisit. On ostracisa encore plus les premiers infortunés comme responsables de l'infortune des autres.
Il ne resta bientôt plus rien du tissu social de la petite ville que des rideaux de fer fermé, des voitures aux pneus crevés et le râle rauque d'ivrogne ne mal de mauvais alcools.
(Adaptation libre d'après un fait divers)
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