mardi 23 juin 2009

Cinéma vérité: la difficile position de l'observateur.

L'action de filmer est une interaction comme une autre. Lorsque vous entrez dans une boulangerie pleine de monde et que vous dites “bonjour" une partie de l'assemblée vous regarde et murmure quelque chose sans vraiment vous répondre. Vous venez de “casser" l'équilibre précaire des relations sociales.

La caméra, l'opérateur ou l'observateur agissent de la même manière quoi que l'analogie puisse être poussée jusqu'à la danse de l'éléphant dans un magasin de porcelaine sans trop tirer la caricature.

L'autre jour j'assistais au tournage d'une interview pour un film documentaire dans un petit local associatif. La débauche de moyen aurait sans doute fait sourire un Spielberg mais elle était déjà assez impressionnante compte tenu du lieu et des circonstances: une caméra beta sur trépied et moniteur de contrôle, trois postes d'éclairage, un preneur de son, un régisseur, un cadreur, un réalisateur et deux superviseurs, le tout dans une petite dizaine de mètres carrés au milieu d'une grande activité et, évidemment, pas mal de bruit. Ce dispositif en soi passerait (presque) pour léger en plein air ou au milieu d'un hall d'aéroport mais ici il occupait une bonne partie de la place disponible et obstruait les passages et circulations qu'empruntait les occupants du site. Ce type même de dispositif fait partie de ceux que je qualifie d'intrusif au sens où il est non seulement visible et vu par les protagonistes mais surtout qu'il perturbe fortement les interactions de ceux-ci. De cette manière il est évident que les images obtenues ne reflètent pas les interactions normales entre ces protagonistes et qu'elles ne peuvent être considérées comme des témoignages fiables ou valides de ces interactions.

J'ai eu l'occasion de filmer avec un dispositif beaucoup plus léger: une caméra, parfois sur trépied, avec un micro directionnel. La qualité du rendu est certes beaucoup moins flatteur, mais si ce dispositif est visible et vu, chose qui me paraît essentiel afin de ne par trahir la confiance avec les protagonistes (différences sans doute entre le reportage ou documentaire et le paparasisme) il est plus rapidement et facilement accepté par ceux-ci qui finissent alors par l'oublier jusqu'à laisser croire à l'observateur-opérateur qu'il a atteint son “nirvana": voir sans être vue ou devenir présent mais transparent.

Il serait cependant trompeur de croire que l'opérateur accepté ne déforme pas ou plus la “réalité" qu'il filme ou cherche à filmer. Le biais profilmique, c'est-à-dire la prise en compte par les protagonistes de la caméra et du fait qu'ils sont filmés dans leurs interactions est toujours là et bien présent, cependant il arrive parfois qu'il ne soit plus le centre de l'attention et c'est alors que l'opérateur a l'impression, sans doute à juste titre, d'avoir saisi un “morceau de réalité". Cela ne peut se faire que lorsque les protagonistes ont oubliés, pendant un instant la situation dans laquelle ils se trouvaient, et pour cela, inévitablement, il faut que le dispositif puisse se faire oublier.

La différence entre le “papararisme" et ce type de saisie par “acceptance" ressort dans les images: une image volée est fait indépendamment du fait qu'elle est saisie et donc elle sera floue, mal cadrée, parasitée par des éléments extérieurs au sujet principal et l'interaction des protagonistes ne prend pas en compte l'observateur ou son point de vue. En somme c'est comme si l'on montrait une bulle ou une bille pour en monter l'intérieur. Dans le processus par acceptance, la caméra ou le dispositif fait parti des interactions mais elle n'en est pas le centre d'intérêt, les images, sans nécessairement être de meilleure qualité, sont plus lisible et laisse apparaître le sujet de l'interaction filmée comme centrale.

Dans les cas où l'acceptance n'est pas possible ou que le dispositif est toujours trop encombrant pour être oublié il est possible de contourner le problème de l'incidence d'une profilmie trop importante en ayant recours à une reconstitution de l'interaction à filmer quitte à passer par la fiction. Mais ça sera l'objet d'une autre discussion.

jeudi 4 juin 2009

Philosophie et Design d'espace

Il y a philosophie et philosophie. Cette ambiguïté, pour ne pas dire confusion, perd certains qui se sentent obligés de faire “philosophie" comme je l'ai si joliment entendu au détour d'un couloir, au lieu de faire de la philosophie ou, plus simplement, de penser.

Il y a la philosophie auquel on veut sans cesse mettre un p majuscule, ce type de philosophie qui fait systématiquement dire à votre interlocuteur que vous devez être bien intelligent parce que vous en êtes diplômés et qui se sent soudain obligé de faire des phrases compliquées avec des mots obscurs.

Le gouffre entre la philosophie telle qu'on l'imagine, semble-t-il, ce genre de philosophie un peu poussiéreuse, très académique et bien compliquée et la philosophie plus terre-à-terre mais pragmatique qui n'est autre qu'une pensée claire, consistante et articulée est particulièrement frappant lorsque vous devez interroger un étudiant qui présente un travail visuel obligé de passé une épreuve portant ce nom.

La philosophie appliquée, c'est-à-dire la pensée en action, lorsqu'elle s'accroche ou s'attarde au design d'espace, n'a pas besoin de convoquer des noms anciens et illustres ou d'user un vocabulaire compliqué. La philosophie et l'architecture sont très proches et maintes philosophes, y compris Descartes et Wittgenstein, c'est dire, l'ont fait remarquer. Penser l'espace pour l'aménager oblige à un exercice de conception que les philosophes envient: il faut penser une structure, un contenant, l'agencer et le meubler, s'y déplacer en pensée mais surtout imaginer sa fonction, les flux et ses utilisations et le modifier au fur et à mesure de l'expérience de pensée pour l'améliorer et l'optimiser. Faire cela c'est se demander ce qu'est l'espace, comment s'y déplacer, se l'approprier, comment il vit, comment il s'articule, quelles sont ses faiblesses et ses limites, qu'est-ce qui en fait l'originalité, quelles sont ses relations avec les objets qu'il contient ou qu'il ne contient pas, quelle est son histoire et celle des éléments qu'il renferme, etc. etc.

Répondre à ces questions ne requière pas de culture spécifiquement philosophique mais de formuler et de considérer des problèmes qui n'en sont pas moins profonds et complexes, à ceci près qu'eux peuvent avoir une application plus immédiatement saisissable que d'autres.

Tout travail d'agencement de l'espace, quel qu'il soit, nécessite de répondre à ces questions, mis à part peut-être pour des capharnaüms sans nom, et encore.

Et si cela est vrai pour l'architecture il n'est pas difficile de comprendre que c'est valable pour à peu près tout le reste. En sommes un monsieur Jourdain philosophique qui arrête de penser de la sorte ne fait plus grand chose, peut-être ne peut-il même pas être mort...

Alors, de grâce, réfléchissez avant de baisser les bras et de débiter des inepties que vous-mêmes jugeriez creuses et fallacieuses...