jeudi 14 janvier 2010

Se préparer à filmer l'inconnu.

Le cinéma du réel est un cinéma de l'instant. Pour essayer de contredire ou au moins de corriger la formule de Louis Jouvet “Au théâtre on joue, au cinéma on a joué", cette forme particulière de cinéma cherche à retenir ce qui se déploie dans la spontanéité du moment sans écriture préalable.

Mais toute la difficulté est ici. Si l'image et le film ne sont pas préparés, écrits même devrait-on dire, alors cela ressemble plus à un mauvais film de vacances qu'autre chose.

Un film est une entité construite: il doit comporter l'ensemble des éléments nécessaires et suffisants à sa compréhension, contrairement au film de vacances qui reste hermétique sans la voix stridente de la grand-tante pour le commenter.

Cette construction essentielle suppose une forme d'écriture. Même si l'écriture filmique se fait alors principalement au montage dans une sélection de plans et de séquences tournées et de bandes son, il n'en reste pas moins que ces plans et échantillons sonores doivent avoir une cohérence qui permette le montage. Le film se bâtit alors autours d'une problématique, c'est-à-dire d'une perspective sur le monde qui déterminera le tournage. Cela suppose d'être attentif et d'accepter de ne pas tout filmer, se restreindre à cette problématique. Et cela suppose évidemment une problématique.

En ce sens le cinéma du réel et plus particulièrement l'essai documentaire, se rapproche du raisonnement en action. La problématique permet d'élaborer des hypothèses qui seront vérifiées et articulées entre elles par le montage. Le prologue introduit la problématique, la conclusion la résout, le montage l'expose, l'articulation la développe.

Tout comme dans l'élaboration d'un raisonnement dans l'action de la pensée, la perspective peut évoluer et les hypothèses s'infirmer contre l'intuition de départ. Cela est possible et il faut l'accepter. C'est en ce sens que le film “se fait" de lui-même en fonction des événements qui adviennent ou pas.

Plus qu'une écriture au préalable (même si le cinéma travaille secrètement à une problématique à l'aide de ce qu'il imagine qu'il trouvera ou qu'il aimerait trouver) c'est une attitude d'attention qu'il faut travailler. Ensuite le gros du travail tient dans l'assimilation et la compréhension du matériau (des images et des sons rapportés) et la distance critique à prendre avec. La mise en forme d'après la problématique de départ et son articulation à travers ce matériau donne le film. Cette partie est nécessairement écrite puisqu'elle doit être montée et donc articulée. Les commentaires sont là pour corriger les manques (les images et les sons qu'on aurait dû prendre ou qu'il n'a pas été possible de prendre) et dans l'expression de l'intention, c'est-à-dire la problématique et la conclusion. Mais si le film est bien fait et le cinéma consciencieux alors aucun ajout ad hoc n'est nécessaire.

C'est en ce sens que le cinéma du réel s'écrit.

Le plus difficile en somme est de se préparer à l'inconnu.

[Notes avant le départ au Gabon.]

mercredi 6 janvier 2010

Le tragique de la tristesse d'un homme.

La tristesse d'un homme en prise avec son destin est toujours une chose tragique et impressionnante. Mais le tragique est parfois dans la banalité.

C'est une situation toute simple. Un élève qui se rend compte à la vue de son bulletin qu'il paye à prix fort des copies non rendues ou des absences desquelles ils pensaient tirer un plaisir. Tel un couperet l'histoire le rattrape, il s'excuse et s'en excuse mais rien y fait. Il se rend maintenant compte de ce qu'il aurait dû ou voulu faire mais c'est trop tard. Il ronge son frein et se maudit lui-même alors qu'il ne devrait pas. Pour l'une des toutes premières fois il tâte son destin et se rend compte de la responsabilité des choses.

Mais il ne faudrait pas croire qu'un destin, même aussi insignifiant que celui d'un homme sans qualité, aussi banal qu'un simple étudiant dans une classe, est petit et étriqué ou tragique par sa petitesse et son insignifiance.

Non, le tragique vient aussi et surtout du monde qui l'entoure. Quand ce n'est pas des acteurs qui le peuplent.

Un employé jusque-là modèle qui doit quitte son poste pour suivre sa moitié qui d'un coup devient un bon à rien que l'on néglige ou que l'on brime simplement parce que le patron n'avait pas imaginé un instant que son employé était avant tout humain et passe sa colère comme le caprice d'un enfant à qui le monde ne convient pas.

Le tragique de l'existence d'un homme réside dans la banalité de son quotidien. C'est ce qui en fait la grandeur.

Mais lorsque le monde s'efforce de vouloir faire plier celui qui se contentait de le suivre et de l'animer, un retournement soudain parce que les foudres du capricieux doivent bien tomber quelque part, alors c'est à n'y plus rien comprendre. L'homme devient triste. Triste de ne pas comprendre ce prix exorbitant auquel on lui fait payer soudain la liberté de son existence. Il y a une injuste profonde là-dessous. Et la tristesse d'un homme en prise avec son destin est une chose tragique.

Pourquoi tous les hommes ne savent pas qu'ils en sont et que jouer aux dieux est aussi vain que pathétique? Restons humains.