vendredi 29 mai 2009

La différence comme marque de similitude.

L'anthropologie cherche à travers les différences les traits communs aux différentes cultures et finalement à l'Homme avec une majuscule. L'idée sous-jacente est bien qu'il n'y a qu'un seul et même Homme derrière chacun humain.

Mais si cette hypothèse est vraie alors la vérifier en cherchant un universel derrière chaque acte, chaque action, chaque outil, chaque objet ou chaque rite devient très compliqué. Le risque en effet est de tomber dans les pièges d'une mauvaise abstraction et dans le syndrome de Lichtenberg avec un couteau sans lame auquel il manque le manche.

Cette difficulté est l'un des paradoxes philosophiques de l'identité. Soit l'identité est une et deux choses identiques ne peuvent être distinguées ou bien elle est accidentelle et deux choses sont identiques parce qu'elles ne sont que similaires, c'est-à-dire qu'elles diffèrent par ailleurs.

L'idée d'une humanité une et unique est sans doute à comprendre en un sens théorique. En ce sens elle dit simplement que tous les hommes quels qu'ils soient procèdent de la même espèce et en ce sens ne sont pas distinguables et ne doivent pas l'être. C'est l'idée de la déclaration universelle des droits de l'Homme et c'est sur cette même conception que toute discrimination, quelle qu'elle soit entre des humains, sur quel critère que ce soit, est intolérable.

Mais d'un point de vue anthropologique ou de philosophie descriptive et non plus prescriptive ou normative, la question est différente. Considérer que tout est identique ou doit être identique revient à nier les différences qui justement sont des spécificités intéressantes. Si un classement est effectué sur cette base alors cette approche est condamnable, mais en revanche si elle considère que tout développement humain, quel qu'il soit, procède d'une même base, alors chacun apparaît comme un possible dans un menu rapporté à une fonction unique et spécifique. Une robe en peau de saumon, une tunique en plume, une robe à panier ou un blue-jean ne sont que des choix possibles parmi le menu des vêtements eux-mêmes pensés comme une fonction biologique de protection et un usage social.

Les différences en ce sens sont des enrichissements, des développements qui permettent de cartographier les possibles humains et à partir de là faire apparaître des invariants ou au moins des pondérations qui permettraient, en négatifs de comprendre l'ampleur et la profondeur de la géographie mentale humaine.

L'idée, en définitive est la même, au lieu de partir du général bien difficile à définir a priori à particulier du particulier, on part du particulier pour déterminer le général. C'est dans le fond la fonction d'un musée ethnographique ou d'une enquête de terrain. Avec la restriction que le général ainsi déduit ne devient pas catégorique et ne détermine pas essentiellement l’espèce humaine, mais devient un outil d'affinement progressif d'un portrait de l'Homme. Cultiver la différence c'est en somme cultiver toute la créativité humaine et enrichir les possibles contre une uniformisation radicale appelée par une compréhension naïve car compréhensive des propriétés. Cette uniformisation est logique et confortable (qui n'a pas de blue-jean sans sa garde-robe) mais appauvrit considérablement, à terme, notre savoir sur nous-mêmes.

C'est pour cela qu'il faut garder traces de toutes les différences, les cultiver mais aussi et surtout prendre le temps de les observer, de les contempler et de les comprendre. Finalement, ce qui rend similaire chaque Homme c'est que chacun est différent et unique.

dimanche 24 mai 2009

Cinéma d'observation

L'image peut servir à plusieurs fins. Elle peut, entre autres, servir à illustrer, à exposer ou à révéler.

Ces trois fonctions, qui n'épuisent pas toute l'image, supposent toutes trois une idée qui les soutienne.
Dans l'illustration l'idée est déjà exposée indépendamment de l'image qui n'est là qu'en redondance.
Dans l'exposition l'image soutient l'idée et la montrant sous un angle différent afin d'en permettre la saisie.
Dans le cas de la révélation, l'image est nécessaire à la saisie de l'idée qui ne se manifeste que par elle, complètement ou partiellement.

Le film ethnographique et documentaire utilise l'image comme révélateur, car si c'est bien une idée et une certaine compréhension de ce qui est filmé qui guide la prise de vue (l'angle, le cadrage, l'exposition, etc.) ce n'est qu'avec l'image que l'opérateur sait si son hypothèse de travail était correcte ou non et si ses parti-pris de prise de vue convenables et pertinents.

Cela suppose que l'image donne à voir quelque chose que l'on soupçonne ou que l'on attend sans savoir a priori si elle va le faire ou non. Contrairement à une mise en scène ou à une reconstitution, possible dans les deux autres types d'image.

L'image n'est donc pas une fin ou un aboutissement de l'exposé d'une idée mais bien le commencement d'un travail de défrichage, d'analyse et d'interprétation de l'image pour y trouver la manifestation d'une idée que le montage aidé parfois d'un commentaire permettra de mettre à jour.

L'image devient risquée puisqu'elle peut ne rien révéler du tout soit que l'idée n'apparaît pas (si elle existe) ou bien que les hypothèses de travail étaient fausses ou mal étayées ce qui peut se voir dans la prise de vue (cadrage, axe, angle...) qui en brouille la lecture.

Une image peut dire beaucoup de chose pour peu qu'elle soit lue avec finesse. L'information qu'on peut en tirer est aussi riche qu'un texte démonstratif, mais tout comme les textes scientifiques et ardus l'image est difficile à lire. Il fait la décortiquer, l'analyser, l'interpréter.

L'interprétation prête le flanc à la critique. On se demande si les commentaires de “Dead Birds" rendent effectivement compte de ce que pensent les acteurs. Mais cet engagement est indispensable et, comme dans toute étude réfléchie, l'interprétation, si elle est bien faite, doit toujours rester compatible avec toutes les autres et avec les faits.

Réaliser des images à caractère révélateur, des images d'investigation suppose donc de suivre les prémisses et l’ébauche d'un raisonnement tout en essayant à travers la prise de vue d'en tirer des éléments qui l'étayeront, le révéleront ou bien donneront des indications sur l'interprétation qu'il faudra en faire a posteriori. Le tournage d'un tel film ne peut donc se faire sur la base d'un scénario à proprement parler puisque rien n'est écrit de manière prévisible et assurée de sorte à pouvoir prédire ou anticiper la prise de vue, mais sur la base d'un plan basé sur des hypothèses qu'il s'agira de vérifier en direct et de moduler le cas échéant.

Ces contraintes sont peu compatibles avec une équipe large puisque la réactivité doit être totale mais plus encore le tournage doit se déterminer en fonction de ce qui se passe. L'opérateur image ne peut donc difficilement être différent du réalisateur à moins de supposer une connivence très forte entre les deux. Cependant, le fait que l'opérateur soit celui qui valide les hypothèses et qui conduira l'interprétation est beaucoup plus aisé et facile, puisque cela lui permet d'un même point de vue de conduire ces deux tâches.

L'inconvénient étant évidemment que le réalisateur doit être opérateur et donc connaître l'image et la technique de la prise de vue et du matériel employé tout en connaissant les méthodes d'interprétation et de lecture d'image si bien qu'il puisse remplir les deux tâches simultanément sans en parasiter aucune. Ces qualités sont déjà rares l'une et l'autre pour trouver les deux dans le même individu, mais cela arrive, heureusement.

Le son est un élément important et la prise de son peut se faire ou bien de manière directe avec une caméra équipée ou bien par un preneur de son distinct de l'opérateur image. Si le preneur de son connaît bien son métier il pourra suivre les protagonistes et l'action en l'anticipant plus facilement que l'opérateur image.

L'équipe de captation idéale donc se compose de deux membres: un opérateur réalisateur et un preneur de son, éventuels assistés pour le matériel, mais une équipe légère est moins intrusive et produit de meilleurs résultats.

Mais évidemment rien ne remplace l'idée et l'échafaudage des hypothèses et la présence d'esprit de leur validation, confirmation, infirmation et de réactivité lors de la prise de vue.

L'idée reste donc la clé maîtresse de toute image.

vendredi 22 mai 2009

Fiction d'après un fait divers

Dans une petite ville comme la France en compte beaucoup, il y avait une usine. Cette usine confectionnait des pièces de textile. L'usine était implantée depuis plusieurs générations déjà, jouissait d'une certaine réputation et avait fini par se confondre avec la ville, elle en était l'âme ouvrière.
Dans cette ville il y avait ceux qui travaillent à l'usine de textile et ceux qui travaillaient pour. Que ce fut le médecin, les commerçants ou les instituteurs, qui que ce fut d'une manière ou d'une autre son destin finissait par être lié en moins de deux coups à celui de l'usine.

La crise passa par là. La responsabilité de celle-ci n'est pas tout à faire claire mais elle passa par là avec pour effet de se séparer d'une partie du personnel et de délocaliser une partie de la production dans des pays en voie de développement, en particulier en Inde ou l'usine avait ouvert une succursale. Cette vague de licenciement qui affecta tout de même près d'un tiers du personnel provoqua un certain émoi dans la communauté et la ville se mobilisa. Une grève fut commencée mais larvée et la direction menaça de fermer définitivement l'ensemble du site si elle continuait. Le fait que seuls les jeunes arrivants, les intérimaires, les CDD et quelques départs en retraites furent concernés motiva les troupes et la survie de l'entreprise fut préférée au sort des infortunés, après assurance que finalement cela ne concernait pas les “vrais".

L'économie de la petite ville en fut affectée mais l'usine quant à elle se portait bien. Quelques commerçants durent fermer leur rideau et quelques familles partir, mais un équilibre précaire se remit en place tant bien que mal et on oublia les infortunés, préoccupé par la prochaine crise qu'on ne manquait pas d'annoncer.

Or ces infortunés l'étaient vraiment. Le chômage les indemnisa un temps et la direction promis un plan social qui finalement tomba aux oubliettes avec cette nouvelle perturbation providentielle et la pression de la mondialisation. L’usine reçue même une aide.

Mais l'ouvrier même le plus bête peut être malin. L'un d'eux alla demander conseil à un avocat et le tout fut porté devant les prud‘ hommes et la justice.

L'affaire s'enlisa mais fini tout de même par aboutir. Le tort sur imputé à l'usine qui n'avait pas proposé de reclassement et fait aboutir son plan social. Les indemnités compensatoires furent portées à plusieurs centaines de milliers d'euros, somme colossale mais juste et justifié, qui dans le fond ne correspondaient qu'à ce qui aurait dû être donné.

Mais voilà que la direction affirme que l'usine ne peut pas payer une telle somme dans le contexte actuel sans mettre en péril l'existence même de l'usine. Crise oblige.

Alors les employés, les ouvriers et même les commerçants, les professions libérales, les responsables politiques et même syndicaux crient haut et fort que ces infortunés veulent tuer l'entreprise et la ville. Ils ne comprennent même pas qu'ils soient restés ici alors qu'ils n'avaient plus rien à y faire n'ayant plus d'emploi, ne faisant plus vivre la ville et plombant l'assistance publique. On se souvient soudain d'eux et les considéra comme des parasites. Ils auraient dû laisser l'affaire et d'ailleurs le fait qu'ils aient consacré autant d'énergie pour se venger, car il s'agissait bien, aux yeux du bien pensant, d'une vengeance démontrait avec éclat la perfidie de cette gangrène.

Si la justice s'était trompée et avait l'inconscience de préférer faire fermer une usine au lieu de comprendre que le bien commun exige parfois le sacrifice de certains, alors que cela ne tienne et l'affaire sera réglée de manière plus directe et locale.

C'est ainsi que commencèrent les pressions sur les infortunés. Un voisin qui ne leur adresse plus la parole, les remontrances faites aux enfants dans la cour d'école ou à la sortie par les parents d'élèves, les commerçants qui n'accordent plus crédit ou qui refusent de servir, les pneus crevés et même un passage à tabac.

La ville ne s'en est jamais remise. On ne sait toujours pas si c'est pour cette raison ou non que l'usine à fermée ses portes. La seule chose que l'on sait est que personne, ni des anciens ni des nouveaux infortunés ne fut jamais reclassé ou indemnisé et le bureau de l'emploi n'a toujours pas traité leurs dossiers. La direction de l'usine à soudainement disparu après avoir touché une dernière aide de l'État.

La seule chose que l'on sache est que depuis quelques temps des vêtements de la même marque ont refait surface sur dans les rayons. Une étiquette mal coupée indique bien que le produit est “Made in France" mais les yeux experts d'anciennes coupeuses affirment que c'est un travail similaire à celui que produisait la succursale indienne.

On aurait pu penser que ces dernières épreuves aurait resserré les liens au sein de la communauté, mais c'est bien le contraire qui se produisit. On ostracisa encore plus les premiers infortunés comme responsables de l'infortune des autres.

Il ne resta bientôt plus rien du tissu social de la petite ville que des rideaux de fer fermé, des voitures aux pneus crevés et le râle rauque d'ivrogne ne mal de mauvais alcools.


(Adaptation libre d'après un fait divers)

lundi 11 mai 2009

Panthéon des grands films: “Dead Birds" de Robert Gardner

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Au Panthéon des grands films, il faut indéniablement inclure Dead Birds de Robert Gardner de 1964.

Ce qu'il y a de fascinant lorsqu'on commence à réfléchir sur des problèmes qui préoccupent l'humain c'est qu'on le fait de manière abstraite comme si ces problèmes pouvaient être appréhendés en eux-mêmes et pour eux-mêmes indépendamment de tout contexte et de tout particularisme en faisant abstraction des différences de chacun et des points de vue.
C'est méthode est évidemment critiquée au prétexte qu'elle s'intéresse à des sujets qui ne sont pas ceux que l'on rencontre dans ce monde là, que l'univers du philosophe est étranger de celui de l'expérience.

Or lorsque le travail est bien fait, le sujet traité de manière abstrait est un noyau qui rend compte de toutes les accidents qu'il peut supporter, de tous les contextes et de toutes les manières de l'appréhender. L'abstraction tend à l'essence des choses et non pas juste à les dépouiller de contingence jusqu'à ce qu'il n'en reste plus rien. Y parvenir est rare et difficile, mais lorsqu'on y arrive le résultat est stupéfiant de force, de puissance et l'intelligence. Dead Birds est ainsi.

“Dead Birds" parce que l'Homme, nous raconte la légende, est comme l'oiseau, il meurt. Ce film qui relate l'existence de “primitifs" d'un autre âge et d'un autre monde, montre l'essence même de l'homme. Ses menues actions, il s'habille, il mange, il danse, il boit à la rivière, il crie, il pleure, il se bat, il meurt.

Ces Hommes là sont les Hommes et nous comprenons que c'est de nous dont on parle. Il y a là une violence terrible et terrifiante de se retrouver devant un miroir et de découvrir que l'existence est tout autant dure que belle, et qu'ici ou là bas, maintenant ou en un autre temps, l'Homme reste Homme, quelque soit les différences qu'il veut voir chez son prochain, quelque soit la manière de le dire, de le porter, de le chanter ou de s'amuser.

Robert Gardner nous montre cela avec évidence dans un film magistral et beau.

À voir absolument.

mardi 5 mai 2009

L'art de diriger les Hommes en période de crise et de situation extraordinaire.

Lorsqu'on lit les récits d'expéditions polaires, que ce soit ceux de Charcot, de Nansen, d'Admunsen, de Shakelton, de Scott ou des autres, ce qu'il en ressort est que la survie d'une expédition en milieu hostile, en conditions difficiles voire extrêmes, avec un risque important et vers l'inconnu ou un but dont on ignore qu'il soit possible d'atteindre, cette survie dépend essentiellement d'un seul facteur, celui du moral des troupes.

Les récits polaires regorgent d'anecdotes extraordinaires qui relatent la survie d'êtres humains dans des conditions absolument inimaginables. Les survivants de l'expédition Franklin ont subsisté durant deux hivers sans rien au milieu du grand nord et ce simplement parce qu'ils espéraient pouvoir un jour revoir leur Angleterre. Shakelton a traversé l'océan antarctique sur une barque pour aller chercher du secours pour ses hommes.
L'Homme est un animal capable d'une force hors du commun qui l'épate lui-même lorsqu'il veut parce qu'il croit. Cette croyance n'est pas nécessairement religieuse, il s'agit simplement pour lui de se fixer un but, un objectif et de penser qu'un certain nombre de sacrifice ou d'obstacles valent la peine ou le coût d'être affrontés et surmontés pour y parvenir. En somme la valeur accordée au but est supérieure à la somme de toutes les difficultés, autrement dit, aux valeurs négatives qu'il faut payer pour l'obtenir.

Si les hommes de Nansen sont convaincus qu'il est préférable de traverser le Groenland que de faire demi-tour, alors ils traverseront le Groenland quelles qu'en soient les difficultés. Nansen dit bien que ces hommes n'en sont pas vraiment convaincus au départ et que ce qui parviendra finalement à les motivés ne sont pas les mêmes raisons que les siennes, mais en bon chef d'expédition il sait parler à ses hommes, il sait les comprendre, les écouter et trouver les mots justes pour les motiver.

La réussite d'une expédition dépend du moral des troupes. Ce moral repose sur ce que ces hommes acceptent, ce qu'ils croient, ce qui les motive. Le chef doit le comprendre et doit savoir en jouer. Ce n'est pas mener un homme par le bout du nez de lui promettre ce qu'il veut si c'est effectivement ce qu'il peut avoir en définitive, même si cet objectif n'est pas celui visé par le chef ou la raison d'être de l'expédition.
Nansen voulait prouver que le Groenland était une terre continue et qu'il n'y avait pas de mer intérieure qui le traversait et pour cela, il voulait montrer qu'il était possible de le traverser à ski. Ses hommes, au moins certains, n'avaient strictement que faire de prouver cela, ce qu'ils voulaient c'était être payé et pouvoir rejoindre le plus rapidement possible leur Laponie natale. Ces objectifs sont évidemment compatibles sur le fait de traverser le Groenland. En ménageant son discours Nansen est parvenu à ses fins.

Maintenant, en ouvrant la radio et en lisant les journaux, le flux d'informations rapporte que les universités sont encore bloquées, que des patrons sont séquestrés, qu'il y a des grèves dans les services de santés et des affrontements entre les forces de l'ordre et les gardiens de prison. Bref, qu'une partie de la population n'est pas très heureuse de son sort.
D'aucuns analysent la situation comme pré-révoluationnaire et le prélude d'une lutte organisée et collective. D'autres, évidemment plus proches du gouvernement, parlent d'épiphénomènes, d'intérêts individualistes et localisés, sporadiques et manipulés. Le parti majoritaire demande même que des actions de justices soient prises contre les manifestants. Statistiques à l’appui l'argumentaire tourne autour du pouvoir d'achat qui en fait n'est pas aussi mauvais que les gens veulent bien le croire et que la crise n'affecte qu'une infime partie de la population qui, au ton, de toute manière ne s'en sortirait même pas en période florissante.

Certes le discours se heurte à quelques phrases qui évidemment sont dites sorties de leur contexte et de leur situation, par exemple sur la rémunération de certains, patrons, sportifs ou artistes et sans bien savoir ni comment ni pourquoi le politique à décider de réguler le financier à coup de moral. J'avoue ne toujours pas très bien comprendre ce que la morale vient faire avec les affaires mais bon il faut croire qu'il suffit d'écouter et d'y croire, un peu incrédule, puisqu'aucun argument un tant soit peu consistant n'a pour le moment été fourni.

Tout cela pour nous expliquer que les dirigeants c'est-à-dire le gouvernement et en premier lieu le chef de l'État font ce qu'il faut faire du mieux qu'il faut pour juguler la crise. Et que les mécontents sont de mauvaise foi et que de toute manière il faut bien des sacrifiés sur l'autel du bien commun pour faire marcher au mieux le pays. En somme, laisser des Hommes au bord du chemin est une bonne chose du moment que l'expédition avance un peu. Or c'est bien méconnaître les expéditions que de suivre un tel raisonnement. C'est ne pas comprendre que les Hommes craignent plus leurs propres peurs et leur propre sort que celui des autres. Un homme ne pleure pas un laissé pour compte parce qu'il est un laissé pour compte, mais il pleure le fait que si lui-même venait à défaillir lui serait laissé sur le bord du chemin aussi simplement que celui qui vient de l'être. Les SDF font peur simplement parce qu'on sait que le loyer devient de plus en plus difficile à régler en fin de moi, et si on donne une pièce c'est en guise de placement sur la générosité des autres.
Ne pas comprendre cela, ne pas vouloir le comprendre, ne pas l'entendre ou savoir l'entendre est risqué. Risqué puisque c'est misé sur la réussite de l'expédition non pas à la force des Hommes et de leur moral, en en comptant sur le matériel. C'est croire qu'il est préférable de s'attaquer au Pôle Sud avec des chevaux et des tracteurs plutôt qu'avec des hommes qui comprennent ce qu'on attend d'eux et qui croient qu'on leur fait confiance.

Le matériel n'est rien si personne ne s'en sert. Le meilleur outil reste inutile si aucune utilité ne lui est donnée et aucun usage n'en est fait. Un enfant peut s'amuser d'un mouton de poussière et s'ennuyer au milieu d'un magasin de jouet.

Lorsqu'il y a trente ans les gens demandaient du rêve ils demandaient simplement à croire en quelque chose, un premier moteur, quelque chose à faire, à vouloir.

Mais penser qu'il est possible de donner de la volonté à quelqu'un, de lui donner du rêver ou quelque chose à croire, relève du paradoxe pragmatique. On n'interdit pas d'interdire, on n'impose pas la spontanéité, on ne rêve pas pour les autres.

Le chef aveugle qui conduit ses hommes comme une armée de robot est un Napoléon qui s'enlise dans les frimas de la défaite. C'est un explorateur qui après avoir laissé tous ses hommes tombe en panne d'essence dans le désert et qui peste contre la fatalité.

D'autant que si le chef prend le temps d'écouter ses Hommes, le plus souvent il est surpris de ce en quoi ils croient et ce que sont réellement leurs motivations et leurs demandes. Elles sont parfois dérisoires, infimes et minimes. Surpris il répond “c'est tout? mais il fallait le dire plus tôt, inutile de faire autant de bruit pour si peu". Oui, mais le bruit ne raisonne pas dans le vide.

La gronde qui grogne dans le pays n'est peut-être pas un prélude à une révolution, ce n'est peut-être pas 89 ou 68, mais c'est peut-être pire. C'est peut-être l'avènement d'une politique de sourds gouvernant des muets sous le regard d'aveugles.

N'importe quel Nansen, Charcot, Scott, Shakelton ou Admunsen aurait désireux de préserver son expédition et l'espoir d'atteindre des objectifs initiaux aurait tenté d'écouter, rien qu'écouter ses hommes, parce qu'il sait que sans eux il n'est rien et qu'il ne peut rien.

Bien sûr, même si ces grands explorateurs étaient pour la plus part militaires, ils ne maniaient pas leurs Hommes comme on manie une armée. Il est dommage que la politique soit à l'heure actuelle plus proche de l'art de la guerre que de celui de l'exploration, de la recherche, de la découverte et du rêve d’une Nation.

Il y aura des pertes, mais peut-être une victoire ou une défaite. Mais rien de nouveau, rien de découvert, rien d'extraordinaire.