lundi 20 juillet 2009

Profilmie et attitude devant la caméra

La profilmie est la modification de comportement induite par la présence de la caméra. Tout le monde sait qu'il perd son naturel devant un objectif, qui grimasse, qui essaie de se cacher derrière son ombre, qui crie, saute ou pleure.

Ces attitudes sont évidemment naturelle et se comprenne dans le jeu des cadres sociaux de représentation et de l'art de jouer des personnages en public, mais il reste que c'est le genre d'attitude que l'observateur souhaiterait mettre entre parenthèse ou éviter histoire de voir ce qui se passe “réellement" derrière ce masque. Réellement est ici mis entre guillemets car ce sont évidemment des comportements tout aussi réels que les autres et tout aussi intéressants à étudier.

Il y a deux grandes manière de lutter contre la profilmie: soit sur-jouer les comportements en la renforçant ou bien attendre que l'attention soit dissipée par autre chose que par la caméra.

La première option est celle du cinéma avec des acteurs et un scénario. La scène captée est préméditée et jouée volontairement pour la caméra, en ce sens tous les comportement captés sont profilmiques et recomposés de sorte que la présence de la caméra ne soit plus un problème ou un élément perturbateur mais au contraire la raison même d'être de ces comportements. Les résultats sont évidemment très bons lorsque les acteurs, le scénario et la prise de vue sont bons.

La seconde option, lorsqu'il n'est pas possible de faire jouer (et de surcroît rejouer les protagonistes) et lorsqu'on s'interdit de piéger ceux-ci par exemple avec de très longues focales de sorte à ce qu'ils ne sachent même pas qu'ils sont filmés, est de faire durer les prises de vue un tout petit plus longtemps que le temps estimé par le protagoniste de celles-ci. Je m'explique. Imaginons que vous soyez en train d'interviewer quelqu'un, vous laissez tourner la caméra avant et après le début et la fin “réelle" de l'interview et vous aurez des comportements très différents, parfois plus naturels. Dans des scènes de groupe la choses est également valable, souvent la dynamique de groupe met du temps à se mettre en place et ce sont ces moments là qui sont les plus intéressants pour l'observateur. Celui-ci doit donc être prêt à accepter d'aller au delà de son propre point de vue et de sa propre lassitude. En effet ce prolongement de la prise de vue est estimée en fonction d'une observation jugée “normale" par les protagonistes, c'est-à-dire le temps qu'ils estiment qu'un observateur quelconque, par exemple eux, prendrait dans des conditions quelconques d'observation. Temps qui sert par ailleurs au rôle d'acteur joué par le protagoniste en question, c'est-à-dire à l'attitude profilmique que l'on cherche justement à contrecarrer. Pour se faire donc il faut jouer le jeu du réalisateur-observateur en filmant ou prétendant filmer durant ce laps de temps et continuer au-delà. Étrangement ce dépassement de cadre ne fait généralement pas l'objet de protestations comme rupture du jeu de l'observateur et de l'observé mais rompt le jeu de l'acteur pour entamé celui du simple interlocuteur. Autrement dit au lieu d'accuser l'observateur de ne plus jouer le jeu, le protagoniste préfère abandonner l'attitude profilmique, sans pour autant ignorer soudainement qu'il est toujours filmé ou qu'il peut l'être.

Et c'est là que tout devient intéressant, mais il faut s'y préparer et c'est moins évidemment qu'il n'y parait...

vendredi 3 juillet 2009

Cinéma d'intrusion vs. d'observation

Le cinéma d'observation se contente de rester neutre par rapport à l'organisation des événements, un peu à la manière du reportage à la différence qu'ici c'est l'ensemble de l'organisation qui intéresse et non pas simplement ses points de rupture, autrement dit des événements à proprement parler, extraordinaire.

Le cinéma d'observation vise donc à la discrétion et à la mobilité et donc se doit d'être souple et léger.

Le réalisateur, souvent seul membre de l'équipe de tournage doit savoir ce qu'il filme ou ce qu'il veut filmer, ce qui implique un temps d'observation important pour s'imprégner et comprendre les cadres en jeu. Dans l'idéal cette période doit être relativement longue et en immersion dans le milieu, ce qui ne signifie pas nécessairement de “copiner" avec les agents mais de s'être fait voir d'eux au point d'être toléré. L'utilisation d'un outil est pour cela un facteur important d'interaction: l'appareil photographique, la caméra ou le crayon donnent une fonction à qui les porte et quelqu'un d'occupé est toujours mieux toléré qu'un simple contemplatif assez vite perçu comme un pervers ou un mystique. Il s'agit également de communiquer avec les agents en question, c'est-à-dire de ne pas se tenir à l'écart comme un chasseur devant sa proie, mais d'expliquer ce qu'on fait si on le demande.

Sur ce point il est également judicieux de rester relativement vague ou de raconter une histoire crédible aux yeux des agents observés sans nécessairement entrer dans les détails, surtout les concernant. Dire que l'on fait un documentaire ou un reportage sur la vie d'un village de campagne passe mieux que de dire que l'on fait l'observation des mœurs de ses habitants. Il est d'ailleurs courant d'observer que les agents sont plus prompts à donner des informations sur la communauté ou sur les autres que sur eux-mêmes, inutile donc d'affirmer ou de prétendre faire leur psychanalyse ou de les décortiquer comme des rats de laboratoire.

Le plan de tournage doit donc être clair mais assez souple pour tenir compte de ce qui est effectivement observer et non pas chercher à illustrer un propos a priori, chose fort aisée et simple tant une image peut dire tout et son contraire sous la contrainte.

Ce plan de tournage est un guide et un rail qui s'appuie sur l'observation préalable ou directe, mais alors avec plus de perte, et il est bon de se méfier des invitations à filmer. Souvent l'observé tient à jouer au réalisateur et essaie de forcer à tourner tel ou tel plan ou séquence qu'il juge intéressant. Il faut alors faire la part des choses entre le fantasme bien partagé de jouer au cinéaste et de croire qu'un plan peut être intéressant parce qu'on croit qu'il peut l'être et un plan effectivement intéressant parce qu'il s'inscrit dans une continuité filmique. D'autant que, lorsque qui est conseillé de filmé est intéressant, cela ressort souvent de l'extraordinaire ou de l'exception qui n'est pas nécessairement le plus intéressant.

Dans la même logique, mieux vaut ne pas trop montrer d'image ou de montage aux agents avant que le film ne soit effectivement construit et monté. Il faut montrer quelque chose pour contenir la frustration qui ne manquera pas d'apparaître, mais alors plutôt montrer ce que l'agent s'attend à voir que ce qu'on entend effectivement montrer. Cela permet d'éviter l'invitation à filmer qui devient vite exponentielle et surtout la profilmie (l'attitude induite par le fait que l'on est filmé) qui elle aussi a tendance à se renforcer au fur et à mesure où l'agent croit comprendre où va le film et donc à penser qu'il le maîtrise ou en est l'auteur.

Garder la maîtrise du tournage est capital, non seulement pour arriver au film planifié à l'origine mais aussi pour conserver sa fonction qui avait justement permis d'être accepté et toléré. Une fois que l'agent pense avoir pris la main alors il commence à considérer qu'il n'a plus besoin de vous ou à demander des contreparties qui font sortir du cadre de l'observation.

Le cinéma d'intrusion évite cela en soumettant l'agent filmé à sa volonté de manière claire et a priori. L'inconvénient est qu'aucun événement non planifié a priori par un scénario ne peut alors être filmé.

L'attitude du cinéaste d'observation est beaucoup moins simple et confortable qu'il n'y paraît, mais elle est essentielle pour parvenir justement à ce type de cinéma.