jeudi 31 décembre 2009

Le désespoir de la bureaucratie.

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Voilà encore un post pour lequel je vais encore me faire taper dessus et pour lequel on me rappellera qu'il faut apprendre à se taire et à serrer les poings dans les poches. Certes, mais on ne se refait pas.

‘Bureaucratie' est l'autre terme pour ‘inertie' à ceci près que l'inertie est un mouvement. La bureaucratie c'est un immense mur contre lequel viennent se fracasser l'enthousiasme et les espoirs de quelques personnes qui pensent naïvement que faire est mieux qu'attendre.

Voilà: après deux ans enfin et quelques mails bien salés, la réponse tombe: “La rémunération n'est donc pas possible" (sic.). Merci, au revoir.

Voilà. C'est bien, c'est clair et net comme un tranchant de tronçonneuse bien affûté et pourtant il reste un je-ne-sais-quoi qui immanquablement nous pousse à redemander que l'on répète encore une fois: “La rémunération n'est donc pas possible." Ni, merci, désolé, rien. Sec, comme du bois mort.

Vous avez donc enseigné pour rien. Soit. Le seul écho qui reste est celui des mails qui rebondissent d'un bureau à l'autre, d'un ordinateur à un serveur, d'un câble à un clavier, sans ordre ni but. Des années d'échos pour rien puisqu'en fin de compte le dossier s'est désintégré au fils des couloirs et des pièces jointes, des signatures égarées ou des mails qui ont dû sombrer dans la boite spam.

Rationnellement il reste à espérer que le Bon Dieu existe et sera se souvenir du dévouement de ces naïfs qui ici-bas ont tenté de faire plutôt qu'attendre.

Cela conforte mon opinion et mon nouveau credo: ne fait rien pour autrui sans qu'il n'ait déjà déboursé (et ensuite c'est plus la peine de faire quoi que ce soit puisqu'il a déjà payé). Horrible de devenir de cette trempe-là soi-même mais bon, l'âge passe voyez-vous, les illusions aussi. Il faut bien qu'il y ait des avantages aux cheveux blancs.

Un philosophe d'envergure impressionnante m'a un jour dit à table commentant vers moi le CV copieux de l'autre voisin qui se vantait mine de rien: “Fais peu, prétend beaucoup". Je n'avais jamais vraiment saisi la profondeur de cette maxime qui m'écœurait pas mal j'avoue. Mais maintenant elle sonne plus clair à mon oreille, effectivement.

Cela permet au moins de distinguer les actions que l'on fait pour soi de celles qu'on fait pour autrui. Je m'étais donné pour consigne de faire de “l'humanitaire" jusqu'à 30 ans. Ils sont passés. Maintenant je ne fais plus que pour moi, sinon il faut payer. Dommage pour les reliquats, mais cela m'apprendra, et c'est ce que je ne manquerai pas d'enseigner moi-même.

En lisant Saramago je me disais qu'il exagérait, tirait le trait jusqu'à la caricature et que ce monde tyrannique-là n'était que de papier. En ce 31 décembre 2009 je sais qu'il n'en est rien, mais qu'il est bien camouflé quand même.

Que cela n'empêche pas de passer un bon réveillon et que l'année 2010 soit meilleure pour tout le monde!

mardi 29 décembre 2009

Question d'orientation.

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Un parent d'élève m'appelle pour des cours particuliers pour sa fille.

En deux heures le constat est là: elle n'est pas brillante mais pèche surtout par un manque total d'organisation et de méthodologie, cas classique. Elle doit présenter le bac à la fin de l'année et en l'état c'est pas gagné. Le père dit de manière catégorique “il faut qu'elle ait le bac" en sortant une sacrée liasse de billets de la poche. Pourquoi faire? Pourquoi devrait-elle avoir le bac? Qu'est-ce qu'elle va en faire de son bac?

La question le désarçonne. Je me tourne vers la fille. Que veux-tu faire l'année prochaine? Yeux en soucoupe. Elle ne sait pas, elle n'a pas réfléchi à la question.

Le père insiste: ce n'est pas le problème, elle verra bien quand elle aura son bac.

Ben oui mais le problème est que les inscriptions sont bien souvent avant le bac et quoi qu'il arrive je ne comprends pas quelle motivation un enfant peut avoir pour décrocher son bac sans projet. Son intérêt est bien au contraire de rester à la maison, pas fou.

Le père ne semble pas comprendre, la fille ne saisit pas l'enjeu de l'orientation.

L'orientation tient. Le père saute dessus et, comme prévu, tire à boulet rouge sur l'école (un lycée privé) et ses incapables d'enseignants qui ont mal orienté sa fille et qui ne savent pas la motiver.

Avec sa liasse il voudrait en plus qu'on l'éduque et qu'on fasse son travail. Non, tout ne s'achète pas dans la vie et surtout pas l'enthousiasme ou la motivation. Eh oui, construire un projet d'existence et sa mise en forme pédagogique est le travail d'un parent et nul ne pourra s'y soustraire sans en payer les pots cassés.

Il est choqué. Il veut que je revienne vite lui donner des cours pour son bac blanc. Non. Elle n'a jamais travaillé seule et ne sait pas ce que c'est, ça serait bien qu'elle commence à comprendre. À coup de billets (qu'il montre plus qu'il ne donne) il veut rattraper ses lacunes. Mais on ne comble pas des lacunes de paresse. Les deux ans qu'elle a passé à ne rien faire sont perdus. Maintenant il faut aller de l'avant, avancer, se donner un but et l'atteindre. Il voudrait peut-être qu'elle vive avec toujours deux ans de retard sur son présent? Allons il faut être réaliste et assumer, pour une fois, une fois seulement.

Le jour où elle me dira ce qu'elle veut faire en septembre prochain, je garantis qu'en deux semaines elle obtient son bac, juré craché, mais pas pour 25 euros de l'heure.

Ah bon entendeur, salut.

lundi 28 décembre 2009

De la valeur des choses et quelques paradoxes.

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Quelle est la valeur des choses?

La question n'est pas aussi anodine et il faudrait même y entendre quelques roulements existentiels par dessus. La valeur des choses c'est la valeur des choses qu'on achète ou qu'on vend mais aussi et surtout celle que l'on estime.

Ce matin je suis allé acheter une baguette et depuis la semaine dernière celle-ci a pris 5 centimes, bientôt 15 dans l'année et c'est la boulangerie du quartier où l'inflation est la plus contenue. Et c'est une baguette tout ce qu'il y a de plus ordinaire, le boulanger n'était pas content que je ne prenne pas la baguette de campagne à 1,20 euros, mais je n'avais même pas assez. Un peu plus tôt la pharmacienne m'a littéralement agressé en le hurlant dessus que mon médecin ne devait plus me prescrire de médicaments génériques et que j'étais un mauvais client parce que je ne voulais pas acheter autre chose que ce qui était indiqué sur l'ordonnance. Non je n'ai pas besoin de levure, de sirops, de fils dentaires ou je ne sais quoi d'autre.
La fin de l'année semble tendue pour tout le monde.

Un parent d'élève m'appelle pour un cours particulier. Je demande 30 euros de l'heure, pour tester. Il a fallu batailler pour avoir en avoir 25. Je sais que cela peut paraître beaucoup d'un certain point de vue mais j'avoue également avoir honte. 25 euros ce n'est même pas de la prostitution. C'est bien en de ça de ce que j'estime valoir pour une heure de coaching scolaire simplement parce qu'à 25 euros de l'heure je sais que j'aurais encore le regard noir du père et les remarques désobligeantes sur le système scolaire et les dons cachés de la fille, alors même que la mère est enseignante. Mais c'est partout pareil.

La différence est justement que maintenant la différence se fait sentir. À 25 euros de l'heure je fais de la garderie et dis “oui, oui". À 25 euros de l'heure ce n'est pas un docteur avec 10 ans d'expérience qu'ils “louent" mais un bac+3 boutonneux qui s'en contre fiche, à ce prix-là ce n'est pas un maître mais un esclave qu'ils auront. Après tout, moi, le bac, je l'ai eu et s'ils estiment que donner quelques cours sous-payés permettra de l'acheter à leur fille et bien ils se trompent.

Parce que le prix du pain est si cher, le prix de l'enthousiasme ou de l'engagement l'est tout autant.

Parfois j'ai honte. J'ai honte de faire ce que je fais au prix que je le fais. J'ai honte parce que j'ai honte de ne pas pouvoir payer le loyer en fin de mois, j'ai honte parce que je dois emprunter de l'argent pour manger, j'ai honte parce que je n'y arrive plus. Depuis longtemps j'ai peu à peu rogné et abandonné mes rêves. Depuis deux ans je ne vais plus au cinéma si ce n'est pour voir mes propres films. Je n'ai pas encore renoncé aux livres mais dans l'année je vais quitter Paris simplement parce que je ne peux plus y suivre le cours affolant des prix et des augmentations.

Cette honte c'est la mienne parce que peu à peu cette valeur à laquelle je n'arrive pas à me vendre ou me faire payer pour ce que je fais, déteint peu à peu sur moi, sur la valeur que je m'accorde, ma propre estime, mon amour-propre.

S'il y a une distance à partir du moment ou la fuite se transforme en agression, il doit y avoir un seuil auquel la soumission devient révolte. La question n'est pas tellement celle de l'argent mais de ce qui va avec, du regard que l'autre porte sur l'autre, la confiance ou le lien qui peut en émaner, sur lequel quelque chose peut se construire. À partir d'un certain stade l'ouvrier, celui qui fait ne se distingue plus de la machine, sauf que contrairement à elle, lui en souffre. Il ne s’investit plus dans son ouvrage simplement parce qu'il ne peut pas, il n'a plus la place pour le faire. Ce n'est pas une question de bonne ou de mauvaise volonté, mais simplement que s'il le fait alors il se dévalorise et s'il ne le fait pas il se protège. C'est une sorte de paradoxe économique de l'action. À 25 euros de l'heure je ne peux pas faire correctement mon travail sans aller à l'encontre de l'éthique qui me permet de le faire sereinement. À 30 une sorte de cercle vertueux se mettrait peut-être en place et je ferais plus qu'il ne me serait demandé simplement parce que l'estime serait là et l'enthousiasme prendrait le pas dessus.

Mais ça les gens s'en foutent et s'en contre-foutent. Si ce père de famille voulait aider sa fille il se soucierait un tant soit peu de l'enseignant. Mais c'est justement parce qu'il n'y est pas attentif que sa fille a besoin de cours. Autre paradoxe.
Si son pain était moins cher ou nettement meilleur, j'irais en acheter tous les jours. Si la pharmacienne était aimable je lui achèterais peut-être quelque chose. Mais elle ne peut l'être parce qu'elle ne fait pas son chiffre, il ne peut-être bon parce qu'il estime payer trop de charges, etc.

Le lien social est là, dans cet invisible ineffable et impalpable et pourtant si tangible et si présent.

A force d'économie de bout de chandelle tout part à vau l'eau. Voyez-vous, ce pauvre père de famille, sa fille va devoir suivre des cours pendant un semestre entier à raison de plusieurs par semaine simplement pour que je puisse m'y retrouver en fin de compte et cela sans aucun égard pour les résultats de sa fille. S'il y avait regardé à deux fois, en deux heures elle aurait son bac, parole juré craché, deux pauvres heures à 30 euros. Et bien pour 40 heures à 25, je ne suis pas certain qu'elle l'ait voyez-vous. Le pire est que lui aura perdu son argent et moi mon honneur.

La valeur des choses...

mardi 15 décembre 2009

Paysage: question de cadre.

paysage-small.jpg


Même si cela ne devrait pas, tout est sujet à réflexion. Une photographie que l'on pourrait regarder comme une simple photographie devient objet de réflexion.

Ce qui frappe dans la photographie, quelle qu'elle soit, c'est le cadrage et même plus précisément le cadre. Contrairement à la réalité, la photographie est une image parce qu'elle est bornée, limitée. La photographie tronque et tranche le réel. Je parle de la photographie en tant que processus pour faire des images, sans même parler de la manipulation possible de ces images. Ici cette image est le scan non retouché d'un négatif Ekta 100. Peut-être aurait-il fallu corriger le ciel et les contrastes dans les ombres, mais brut ainsi elle a aussi son charme.

Le cadre est justement ce qu'on ne voit pas dans la photographie. Plus que la Nature peut-être, nous autres Hommes avons horreur du vide et ne le voyons pas. La photographie n'est pas tant une fenêtre sur le monde qu'une découpe de celui-ci. Si la photo tient c'est parce qu'elle est cadrée, c'est-à-dire non seulement qu'elle entre dans le cadre mais que ses rapports avec sont tels qu'ils paraissent équilibrés et que le contenu même de l'image semble tenir de lui-même. C'est alors que le regard commence à scruter et à noter les détails.

Sans ce cadre il n'y aurait rien à voir, ou dû moins nous ne saurions pas ce qu'il faudrait voir ou regarder. Le cadre en somme est un indicateur d'attention, il dit “c'est cela qu'il faut regarder". Mais même plus encore, il structure le regard: c'est parce qu'il y a un cadre qu'il y a un avant et un arrière-plan, un haut et un bas, c'est parce qu'il y a un cadre qu'il y a une perspective. Le cadre détermine ou dû moins contraint la “grammaire" visuelle de ce qui est montré et de comment le voir.

Le cadre photographie n'est pas différent des cadres sociaux. Tout comme dans la photographie, la vie est composée et structurée de la sorte, avec des hauts, des bas, des devants et des derrières, des hiérarchies et des perspectives qui délimitent l'espace et ses possibilités. Ce ne sont pas des formes et des couleurs mais des jeux et des rôles sociaux mais en fin de compte cela n'est pas très différent.

Regarder une photographie ou n'importe quelle image c'est aussi lire une manière de penser, de voir, de regarder et de comprendre l'espace, le regard humain et peut-être même le contexte social de ce regard. C'est une photographie occidentale. C'est en ce sens peut-être que la culture est relative. Simplement parce que ce n'est pas ce que l'image montre qu'il faut regarder mais l'image elle-même.

Un paysage des Alpes.

mardi 8 décembre 2009

De l'effritement social.

L'effritement social est un chiffon rouge agité depuis la fameuse “fracture". Les jeunes contre les vieux, les actifs contre les assistés, les autochtones contre les intrus, les noirs contre les rouges, et j'en passe des dichotomies de cet acabit, des pires et des meilleures.

Mais avec le temps, est-ce par habitude, lassitude ou réalité, l'émiettement prend de plus en plus de consistance.

La réalité est qu'à force de dire que l'on s'oppose à quelque chose, même inconsciemment, et bien cela donne le droit de s'opposer. Mais non pas (ou plus) avec des mots mais avec des gestes, ou plutôt des attitudes, en particulière l'indifférence. Ah quoi bon parler d'un homme qui crève dans le caniveau, cela ne scandalise plus, l'émeu plus, mais pire encore, ne fait plus réagir. Simplement parce que la force et la volonté ne sont plus là. Qu'ils s'en mettent plein les poches ou qu'ils crèvent c'est la même chose. Plus de destin, plus de dessein, plus de responsabilité.

Pendant ce temps s'ils pensent faire ce qu'ils veulent serait trompeur et une bien grave erreur.

Quelques détails qui manifestent ces fêlures: l'entraide est moins franche qu'avant. Un idiot qui avait cru bon prendre la parole alors qu'il aurait mieux fait de se taire est maintenant traîné en diffamation, il vient demander de l'aide à qui soutenait la cause pour laquelle il s'égosillait et on lui tourne le dos. Tant pis pour lui. La mémé qui revient parce qu'elle a un peu de mal à finir son mois, on lui rappelle sèchement ses dires d'il y a quelques années lorsque les jeunes n'avaient qu'à bosser au lieu de perdre leur temps au chômage. Le patron qui se plaint de la baisse des rentrées d'argent et du comportement des clients et en profite pour faire serrer un peu plus la ceinture et exiger plus reçoit des démissions en retour. Non, l'emploi ne fait plus rêver. Travailler plus pour gagner plus, non, ce n'était pas le credo. Travailler pour être un peu heureux, oui peut-être et plus que de l'argent c'est de reconnaissance qu'il manque, mais maintenant c'est trop tard. Comme une mayonnaise qui ne prend pas, chacun retourne dans son coin et reprend ces billes. Que la boite dusse fermer? Qu'importe. Si les patrons savent si bien, qu'ils agissent maintenant.

Le semblant de liant qui reste est sous perfusion. Enlever les câbles et les drains et tout part à veaux l'eau. Même pour une épidémie de grippe on arrive à faire dire que les médecins ne sont pas compétents. A quoi bon alors.

Mais attention, à un certain stade, même payer des impôts ou cette dette qui nous croule sans que nous n'en tirons bénéfice nous paraîtra quelque chose d'inutile.

Il voulait nous vendre du rêve et c'est de la désillusion du vent que l'on récolte.

Ce qui me rassure et de voir des gens en CDI depuis des années rendre leur tablier rien que pour goûter un peu à la liberté. Le patron vient le voir en lui disant “mais que vais-je faire sans toi?", en se posant la question à lui-même il se rend compte qu'il n'en avait pas besoin.

Tout comme c'est le peuple qui tient le politique, c'est l'employer qui tient le patron. Espérons pour eux que l'écran reste encore un peu opaque.

vendredi 4 décembre 2009

Identité nationale: risque d'un débat mal posé.

Il doit y avoir une bonne manière de poser le problème, sinon la question, de l'identité nationale, mais tel qu'il est posé il l'est mal. D'abord il y a la question de la terminologie: “identité" et “nationale" sont des termes connotés qui charrient plus que de besoin. Ensuite, il y a le pourquoi de la question. Une question ne peut être posée sans finalité, simplement parce que toute réponse, quelle qu'elle soit, est une motivation pour l'action. In abstracto ce débat n'en est pas un et ne peut en être un. Quels sont donc les tenants et les aboutissants et les intentions de ceux qui posent la question? C'est une première à laquelle il faudrait poser.

Au Panthéon des grands Hommes de la nation, à l'entrée, se font face les cénotaphes de Voltaire et de Rousseau, tous deux considérés comme des pairs de la nation (et non pas des pères) parce qu'ils ont contribué à forger ce qu'on a appelé par la suite "l'esprit français" et des Lumières. Et ces termes et ces noms ressurgissent dans le débat comme un patronage bienveillant. Or ce serait oublier un peu vite que Rousseau n'était pas français mais Genevois et que Voltaire n'a pu vivre qu'aux frontières de la France. Le Panthéon des grands Hommes (ce qui inclue bien évidemment les femmes) est peuplé de grands Hommes mais peu de français au sens étroit du terme, sens qui justement oppose le français à l'immigré par exemple. Marie Curie n'était pas “français" comme le poulet de Bresse est un poulet de Bresse. Picasso, Van Gogh, Stravinski, Julien Green, Brel ou Marguerite Yourcenar ne sont pas français et pourtant nous les associons et les assimilons à la France et à son patrimoine justement parce qu'ils y ont contribué.

Alors voilà, d’aucuns diront que la différence entre le méchant immigré et le bon est que le dernier “apporte" quelque chose à la France, l'enrichie alors que l'autre en profite et la dépouille. Si le débat est comptable, je ne suis pas certain que la France en sorte grandie. Aucun de ces grands noms de la “culture française", mais “culture francophone" serait plus juste n'a terminé sereinement son existence en France. Pensez même à Descartes qu'on site en héros national qui n'a eu pour choix de vie que l'exile. On revendique Hugo et c'est bien à cause d'un débat mal pesé du même tonneau qu'il a dû chercher refuge ailleurs.

Que la France ait des valeurs, qu'il y ait un esprit français cela ne fait aucun doute, et c'est justement cet esprit qui en a fait et qui fait sa grandeur. C'est parce qu'il était possible d'éditer l'Encyclopédie en France qu'elle a pu se faire en France, mais n'oublions pas que Descartes écrivait aussi en latin.

Vouloir enfermer un esprit dans une boite à catégorie c'est le taxidermiser dans une boite à papillon comme dirait Céline, autre grandeur de la littérature française qui en illustre aussi le paradoxe.

Vous voulez parler de culture, de vision politique, de valeurs, soit, mais ce n'est pas parler d'hommes et de femmes, de flux de population ou de billets de banque. Poser ce débat en ces termes c'est faire le jeu de la différence. Souvenez-vous du couteau sans lame auquel il manque le manche. À chercher l'essence du français vous n'allez trouvez que du vide ou des choses que vous ne voudriez pas voir. Si vous le posez en termes de valeurs alors il faudra accepter que certains qui ne viennent pas de ces contrées puissent les incarner et les faire vivre mieux que d'autres et que de bons vieux franchouillards de sang et de terre préféreront se vendre à l'ennemie plutôt que de risquer de les défendre. Parce que tous les français de carte d'identité ne font pas tous vivre ces valeurs, cette culture, cette langue et une vision qui sont celles que nous voudrions que la France défende.

N'oubliez pas non plus que tous les grands Hommes du Panthéon dont on retient le nom ont été des dissidents car les valeurs qu'ils ont fait émergées ne l'étaient pas de leur temps. N'oubliez pas qu'au moment des Lumières et de la mise en place de des droits de l'Homme la politique n'était que Terreur et tyrannie.

Le risque d'un débat mal posé est de n'entendre que ceux qu'on aimerait faire taire. Les autres œuvrent en silence, justement pour faire alors que d'autres palabrent.