jeudi 29 janvier 2009

Communication visuelle: qu'est-ce qu'une image?

Lorsqu'on pose la question “une image, c'est quoi", on hausse les épaules. Une image, ça paraît simple, ça paraît évident, mais en fait pas du tout.

Déjà, il y a plusieurs types d'images et rien que ça suffit déjà à soulever la question. Quels sont ces différents types d'images, quelles sont leurs fonctions, quelles sont leurs structures?

Lors de la remise du prix Kodak, j'ai beaucoup entendu la question “mais c'est tout de même étrange de faire des paysages si petit et en format carré!". C'est étrange parce qu'un paysage c'est grand, c'est vaste, c'est ouvert, c'est horizontal, alors forcément quand c'est petit, restreint et carré ça choque. Et pourtant, et pourtant.
Je ne soulèverai pas la question de ce qu'est un paysage à proprement parler. C'est une question ouverte et les réponses sont si peu cohérentes qu'elle ne sera pas résolue de sitôt. Cependant, si l'intention est de retranscrire une notion d'espace et de dimension, il est possible de le faire en utilisant les plans, les échelles, les masses, les couleurs, les formes et les textures, et ces différentes composantes peuvent se combiner dans n'importe quel format du moment que cette intention est préservée. Il n'y a rien d'essentiel dans un paysage au sens où nécessairement un paysage devrait être carré. Il faut dissocier l'habitude qu'on a prise de voir des paysages horizontaux et les paysages eux-mêmes.
Cette remarque vaut pour toutes les facettes de l'image.

Dans le domaine de la communication visuelle, le problème devient criant. Par communication visuelle il faut entendre une communication qui utilise l'image comme support d'un message ou d'un contenu. La communication visuelle n'occupe donc qu'une portion du domaine de l'image. Elle se distingue notamment des images esthétiques ou psychologiques. Cette distinction s'opère à travers les jugements pertinents et opportuns sur l'image. Une image de communication visuelle doit être évaluée sur des critères de communication, une image artistique sur des critères esthétiques et ainsi de suite.

Le problème maintenant devient celui de la communication. Quel est le critère de communication? Celui qui me paraît être le meilleur est celui de la compréhension ou de la lisibilité. Avant tout une communication réussi si l'interprète saisi le message, le contenu, l'information ou appelez ça comme vous voulez, que le producteur, l'émetteur, le graphiste y a mis.
Une image de communication visuelle doit être lisible. Ainsi chaque élément représenté doit l'est en fonction de ce critère et donc servir à l'énonciation ou à l'expression du message, du contenu ou de l'information.

Différents types de contenus peuvent être exprimés et donc différentes formes visuelles doivent s'y rapporter. Sur cette base il est possible de dresser une typologie de l'image. Il y a des images narratives d'autres conceptuelles, certaines sont classificatoires alors que d'autres sont analytiques ou encore symboliques, et ainsi de suite.

Ces types se manifestent dans des représentations visuelles, des images, et donc la structure de ces images doit refléter cette typologie. À partir de là une sorte de vocabulaire et de grammaires de l'image de communication visuelle peut se mettre en place. Par grammaire ou vocabulaire il faut entendre des éléments distinguables agencés suivant des principes récurrents. Des formes, des masses, des textures, des intensités, des vecteurs, etc. Ce vocabulaire et cette grammaire deviennent particulièrement saillants et importants dans certains types de représentation, les cartes topographiques par exemple.

Ainsi les images se définissent ou plus exactement de caractérisent et par conséquent peuvent s'étudier et s'analyser. C'est sur cette base qu'une image peut-être plus lisible, compréhensible, prégnante qu'une autre et donc meilleure sur cette échelle de valeur. L'évaluation esthétique dans le domaine de la communication visuelle n'a aucune pertinence et ne peut remplacer des critères pertinents et appropriés.

Mais l'expérience me montre que mêmes les professionnels de l’image ne voient pas, ne maîtrisent ou ne comprennent pas ces notions, la question doit paraître alors bien byzantine et difficile à un non professionnel.

Une tache à laquelle il faut s'atteler!

lundi 26 janvier 2009

Qu'est-ce qu'un concept?

La question est évidemment théorique et la littérature abondante sur cette question. Mais elle se pose aussi d'un point de vue pratique, dû moins lorsqu'elle ne porte non pas sur la constitution ou la nature du concept, mais sur son rôle dans l'explication théorique par exemple.

Lors d'un dîner l'autre jour, une amie préparant une thèse de littérature me fait par de la remarque de sa directrice de thèse et de son désarroi: sa directrice trouve que sa thèse manque de concepts. Son désarroi tient au fait qu'elle cherche à expliquer un problème précis et pratique de traduction du théâtre et qu'elle trouve que toute la littérature “conceptuelle" sur la question n'apporte rien de bien clair et de bien utile. Le concept c'est flou, c'est vaseux et surtout ça ne permet pas de rendre compte des subtiles différences entre les différents extraits du corpus.

En un sens c'est vrai, en un autre non. C'est vrai au regard de ce que la littérature considère comme étant un concept, faux au regard de ce qu'est effectivement un concept.

Un concept, pour le dire rapidement, est une entité mentale qui permet de catégoriser, de classer l'environnement par un agent cognitif qui le possède. Le concept CHAISE par exemple permet à celui qui le possède de discriminer et d'identifier les chaises et donc de les distinguer des tables et des oiseaux. Le concept est considéré comme abstrait car valant pour toutes les occurrences susceptibles de tomber dans son extension. Le concept CHAISE est abstrait au sens où il vaut pour toutes les chaises sans qu'aucune ne l'épuise. Soit.

Mais il y a deux types différents d'abstractions: un premier type correspond à ce qu'on pourrait appeler une abstraction négative. Cette abstraction retire des traits particuliers à un élément pour ne retenir que les traits essentiels à une classe. Le concept CHAISE n'a pas de couleur puisqu'aucune couleur n'est essentielle à une chaise pour être une chaise, pas de hauteur, pas de forme, etc. si bien qu'on se retrouve en définitive avec un "couteau sans lame auquel il manque le manche", c'est-à-dire pas grand chose.

La seconde abstraction cherche à partir de rien à agréger ensemble les propriétés essentielles d'un concept. Donc ou bien le résultat est grosso modo équivalant à la première tentative soit la définition du concept est donnée intensionnellement (avec un S) c'est-à-dire fonctionnellement. ainsi une chaise sera "n'importe quel meuble sur lequel il est possible de s'asseoir, qui possède un dossier mais pas d'accoudoirs". Le concept est réalisé même si aucun élément ne tombe sous son extension.

Ces deux tentatives pour établir et définir le concept, l'une plus empiriste, l'autre plus idéaliste, manquent toutes deux leur objectif. Une manière de le comprendre est de proposer ces approches à l'amie en question: comment parviendra-t-elle à mettre plus de concept dans sa thèse? Si elle y parvient c'est par son tallent propre et certainement pas grâce à ce conseil.

L'écueil de cette approche par l'abstraction tient au fait que la fonction et l'utilité même du concept est oubliée. À quoi sert un concept? À penser, à catégoriser, à classer, à comprendre, à connaître, à juger. C'est-à-dire à rendre possible une lecture et une compréhension d'un domaine. Cette utilité, cette valeur pragmatique du concept est centrale et primordiale.

Lorsqu'on veut se repérer dans un environnement, un bon outil pour le faire est d'utiliser une carte. La carte montre, manifeste les points saillants de l'environnement en question, points qui peuvent servir de point de repère. Plus la carte à de détails plus le repérage est facile mais plus la lecture est longue et fastidieuse.

Ces cartes, rapportées au domaine cognitif sont les conceptions et les points de repères sont les concepts. Les concepts sont donc des points de repère qui permettre de comprendre, l'examiner, de classer, de catégoriser un environnement. Certains concepts sont bâtis d'après l'expérience, d'autres non.

L'idée n'est pas qu'un concept vaut pour toutes ses occurrences au sens ou chacune devrait pouvoir s'y superposer, mais le concept doit permettre de repérer ces éléments comme relevant de ce concept suivant ce point de repère en question.

Un même environnement peut être cartographié de différentes manières: une carte de la population, une carte des transports et une carte géologique peuvent représenter le même espace mais avec des points de repère différents. Il en va de même pour les concepts.

Potentiellement tout peut être un concept comme tout détail peut devenir un point de repère s'il est utilisé en tant que tel. Il s'agit alors de l'indiquer comme point de repère pour une compréhension, une lecture et de structurer l'étude à partir de lui, c'est-à-dire développer une conception adéquate et cohérente.

L'art de la cartographie est subtil et délicat, la lecture de ses produits, les cartes, nécessite juste de l'attention. C'est la même chose pour les conceptions.

Un concept est donc un point de repère dans une pensée au sens d'une analyse, une étude, une présentation d'un domaine. Il s'agit alors de délimiter ce domaine et l'explication qu'on entend en donner et d'exposer à l'aide des traits saillants et caractéristiques nécessaires, à savoir, les concepts, qu'ils soient abstraits ou non, nouveaux ou non, compliqués ou non.

[Thèse sur les concepts, Benjamin Sylvand]

lundi 19 janvier 2009

Dominique Dubosc: ciné-trace

L'autre soir (le 10 janvier), l'ETNA (atelier de cinéma/vidéo expérimental) fêtait Dominique Dubosc.

Le cinéma documentaire est extraordinaire par sa fonction même: il garde une trace, montre quelque chose qui déjà n'est plus là. Mais il serait illusoire de croire que le cinéma montre un “ça-a-été" comme le disait Roland Barthes, mais plutôt un regard. Ce qui a été n'est pas nécessairement ou seulement le sujet filmé mais plutôt le regard qui a été porté sur ce sujet. C'est ce qui fait toute la différence entre un documentaire et une caméra de surveillance. L'intention du regard est patente dans le film, est lorsqu'on voit "Les maîtres fous" de Jean Rouch ou "God's country" de Louis Malle, c'est plus Rouch ou Malle qui se manifestent à travers l'image qu'une pratique ou un quotidien. Paradoxalement donc les meilleurs documentaires sont ceux qui deviennent transparents et dont la technique s'efface au profit du sujet et lorsque cette fin est atteinte le regard du cinéaste emplie pleinement l'écran et son point de vue devient incontournable.
Qui d'autre que Malle aurait pu faire émerger cette Amérique ou que Rouch cette Afrique?

Les films de Dominique Dubosc sont de cette trempe-là et "Réminiscences d'un voyage en Palestine" par exemple nous présente un regard singulier sur cette partie du monde qui raisonne d'une manière toute particulière avec l'actualité du moment. Mais si les films de Dominique sont beaux et puissants ce n'est pas parce qu'ils sont actuels mais parce qu'ils sont singuliers. Il montre à travers une certaine banalité toute la poésie qui habite un lieu et un moment. Les traces sont ténues et passagères, certaines ont déjà disparu mais le regard retrouve à travers elle des brides signifiantes qui éclairent le monde. Un char qui passe et ce sont toutes les craintes qui remontent. Une file d'attente à un point de passage et tout le poids de la recherche d'un travail, le désœuvrement qui transparaissent.
Ces souvenirs qui écrivent les lieux et les instants sont ceux que l'on dessine pour se remémorer comme sont ces endroits et le parallèle même dans le film entre le film et le dessin est plus qu'éclairant.

Mais les films de Dominique Dubosc ne sont pas nostalgiques. Ils ne revendiquent pas un passé ou une histoire. Ils sont plutôt des rêveries similaires à celle que l'on peut faire en regardant par la vitre d'un train ou d'une voiture d'un voyage trop long. Ses films sont une poésie réaliste de l'instant qui font ressortir tout ce que les images peuvent contenir même dans leur apparente banalité.

Le travail du cinéaste est de ciseler le regard et l'image pour montrer ce qu'ils contiennent et Dominique Dubosc le fait admirablement bien. C'est un cinéma simple et puissant de la trempe de Malle et de Rouch. Un cinéma rare et précieux.

(Le site de Domnique Dubosc)

Montage: écriture ou assemblage?

Le montage audiovisuel est-il une forme d'écriture ou simplement un assemblage?

Limitons la question à un domaine plus restreint et ne parlons que du montage de film documentaire.

En un sens le montage n'est que l'assemblage d'éléments déjà écrits à la fois visuellement car déjà filmé et intentionnellement car déterminé par le choix de la prise de vue. Le montage se résume alors retenir certains éléments filmés et a les assemblés d'après l'intention originelle. Le montage est donc une mise en forme, un assemblage comparable à la mise en page d'un texte. C'est la conception classique et canonique du montage filmique.

Or le montage, comme d'ailleurs toute phase de réalisation d'un film, permet une expression qui peut radicalement modifier l'intention d'un film. L'ordonnancement des plans et des séquences est complexes et une analyse approfondie fait ressortir que les mêmes plans ordonnés différemment peut modifier considérablement la lecture des images. L'effet Koulechov n'en est qu'un exemple parmi d'autres.
L'agencement des photogrammes, des plans et des séquences est déterminé par plusieurs facteurs liés à la lecture des images par exemple à travers la cohérence à l'intérieur des images (le cas des jump cut ou match cut) avec la position spatiotemporelle des éléments mais aussi à travers le propos général du film. C'est justement sur le propos général du film que se pose la question de l'intention, c'est-à-dire du propos exprimé que le montage peut jouer un rôle.

Si le montage n'est qu'un agencement de plan déjà constitué, alors cela signifierait ou bien que la signification se trouve à l'intérieur même du plan et donc que sa position dans la séquence ne l'affecterait pas, ou bien que la forme générale du film n'influe par sur sa signification. L'agencement ne serait dicté que par les lois extrinsèques liées à des questions esthétiques notamment. Cette conception atomique de la signification filmique tend à considérer que l'importance est plus dans l'effet produit esthétiquement chez le spectateur que dans une compréhension intentionnel du film.
Si la forme importe, cela signifie que la signification se situe à un niveau plus moléculaire, ce qui n'exclue pas une signification dans l'image, et que la combinatoire détermine le propos général. Un même plan peut donc être porteur de signification selon le contexte dans lequel il apparaît sans nécessairement être neutre isolément.
L'ordre des photogrammes, des plans et des séquences s'apparenteraient plus à la structure argumentation d'un texte que de sa simple mise ne page.

Dans le cas spécifique du film documentaire entendu au sens de construction d'une structure audiovisuelle en vue de montrer quelque chose, c'est à dire pas simplement un film illustratif mais bien la présentation d'un propos, le montage peut jouer un rôle central dans l'écriture du film. Porté à son paroxysme cette idée est celle qui régie le found footage.

Certes le montage ne peut-être que l'assemblage d'images filmées d'après un plan très détaillé de tournage lui-même établi sur un script bien ficelé, mais ces conditions sont trop rares et exceptionnelles pour se trouver facilement lorsqu'il s'agit de filmer un documentaire. C'est en ce sens que le montage est, ou peut être une écriture filmique.

lundi 5 janvier 2009

David Falco remporte le Prix Kodak de la Critique 2008



Cette année le Prix Kodak de la Critique Photographique souffle ses 33 bougies, parmi les 55 dossiers en compétition, le jury a récompensé le travail réalisé par David Falco, pour sa série Spitzberg, 78, 15°N 16°E #2. Christophe Agou se voit remettre le 1ère mention spéciale, et le travail de Kosuke Okahara, la seconde mention spéciale.

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© David Falco


Comme chaque année, le jury du Prix Kodak de la Critique Photographique 2008 était composé de professionnels de l’image reconnus, apportant chacun un regard personnel afin de récompenser le travail d’un photographe professionnel. Cette année le jury était composé de :
Patrick Codomier (Directeur du Département Média de l’agence Vu), Guillaume Cuvillier (Rédacteur en chef du magazine Le Photographe), Chayan Khoi (Photographe professionnel), Romain Lacroix (Chef de service adjoint photo du magazine Paris Match) et Guillaume Rivière (Photographe Indépendant).

David Falco, lauréat du 33ème Prix Kodak de la Critique Photographique.
Né le 23 novembre 1978, David Falco fait ses Études à l’Ecole Supérieure des Beaux Arts de Montpellier et en ressort avec les félicitations du jury pour son travail plastique et photographique. Bibliothécaire à la Maison Européenne de La Photographie, il y découvre la richesse du fond et en particulier les photographes et éditions japonaises. En 2002, la rencontre d’un photographe de mode l’amène à travailler dans un studio parisien renommé, comme assistant de plateau puis comme opérateur numérique.
En parallèle et depuis 2003, il voyage avec l’écrivain et philosophe Benjamin Sylvand, notamment dans les régions polaires.

Le travail primé: « Série Spitzberg, 78, 15°N 16°E #2 »
Cette série de photographies est le second volet d’un travail réalisé au Svalbard, archipel norvégien situé dans l’océan arctique. David Falco et Benjamin Sylvand poursuivent une réflexion sur les relations au monde et en particulier l’appréhension de l’espace, de la nature et du paysage.
Textes, photographies et depuis peu l’ébauche d’un film construit sur le rythme de la marche se rapportent à différents aspects d’une même expérience.
Les régions arctiques sont fascinantes non seulement par leur beauté mais aussi par le décalage entre ce qu’on s’attend à voir et ce que l’on peut y voir réellement. L’espace est différent de l’espace habituel, les distances sont improbables, les cartes approximatives, le jour permanent brouille la notion de temps. Il y a peu ou pas de repères, pas même un arbre pour estimer l’étendue du paysage représenté et si on ne cherche pas une autre lecture de l’espace, de la couleur, de la matière et des formes on s’y perd.
David Falco exprime à l’aide d’un travail minutieux de retouche et de composition un mélange entre ses souvenirs et ce qu’il a vu là-bas. Il compose des série de diptyques, triptyques et d’images seules qui se déploient en courtes séquences.

C’est ce travail « Série Spitzberg, 78, 15°N 16°E # 2 » de David Falco que le jury a choisi de primer dans le cadre du 33ème Prix Kodak de la Critique Photographique. Le jury salue ainsi le remarquable travail sur le rapport de l’espace et de la matière et insiste sur le sens qui se dégage de ces photographies. « Une série très poétique, très aboutie » et « de très belles images qui fascinent et nous déséquilibrent ».

(Communiqué de Presse Kodak)