lundi 26 janvier 2009

Qu'est-ce qu'un concept?

La question est évidemment théorique et la littérature abondante sur cette question. Mais elle se pose aussi d'un point de vue pratique, dû moins lorsqu'elle ne porte non pas sur la constitution ou la nature du concept, mais sur son rôle dans l'explication théorique par exemple.

Lors d'un dîner l'autre jour, une amie préparant une thèse de littérature me fait par de la remarque de sa directrice de thèse et de son désarroi: sa directrice trouve que sa thèse manque de concepts. Son désarroi tient au fait qu'elle cherche à expliquer un problème précis et pratique de traduction du théâtre et qu'elle trouve que toute la littérature “conceptuelle" sur la question n'apporte rien de bien clair et de bien utile. Le concept c'est flou, c'est vaseux et surtout ça ne permet pas de rendre compte des subtiles différences entre les différents extraits du corpus.

En un sens c'est vrai, en un autre non. C'est vrai au regard de ce que la littérature considère comme étant un concept, faux au regard de ce qu'est effectivement un concept.

Un concept, pour le dire rapidement, est une entité mentale qui permet de catégoriser, de classer l'environnement par un agent cognitif qui le possède. Le concept CHAISE par exemple permet à celui qui le possède de discriminer et d'identifier les chaises et donc de les distinguer des tables et des oiseaux. Le concept est considéré comme abstrait car valant pour toutes les occurrences susceptibles de tomber dans son extension. Le concept CHAISE est abstrait au sens où il vaut pour toutes les chaises sans qu'aucune ne l'épuise. Soit.

Mais il y a deux types différents d'abstractions: un premier type correspond à ce qu'on pourrait appeler une abstraction négative. Cette abstraction retire des traits particuliers à un élément pour ne retenir que les traits essentiels à une classe. Le concept CHAISE n'a pas de couleur puisqu'aucune couleur n'est essentielle à une chaise pour être une chaise, pas de hauteur, pas de forme, etc. si bien qu'on se retrouve en définitive avec un "couteau sans lame auquel il manque le manche", c'est-à-dire pas grand chose.

La seconde abstraction cherche à partir de rien à agréger ensemble les propriétés essentielles d'un concept. Donc ou bien le résultat est grosso modo équivalant à la première tentative soit la définition du concept est donnée intensionnellement (avec un S) c'est-à-dire fonctionnellement. ainsi une chaise sera "n'importe quel meuble sur lequel il est possible de s'asseoir, qui possède un dossier mais pas d'accoudoirs". Le concept est réalisé même si aucun élément ne tombe sous son extension.

Ces deux tentatives pour établir et définir le concept, l'une plus empiriste, l'autre plus idéaliste, manquent toutes deux leur objectif. Une manière de le comprendre est de proposer ces approches à l'amie en question: comment parviendra-t-elle à mettre plus de concept dans sa thèse? Si elle y parvient c'est par son tallent propre et certainement pas grâce à ce conseil.

L'écueil de cette approche par l'abstraction tient au fait que la fonction et l'utilité même du concept est oubliée. À quoi sert un concept? À penser, à catégoriser, à classer, à comprendre, à connaître, à juger. C'est-à-dire à rendre possible une lecture et une compréhension d'un domaine. Cette utilité, cette valeur pragmatique du concept est centrale et primordiale.

Lorsqu'on veut se repérer dans un environnement, un bon outil pour le faire est d'utiliser une carte. La carte montre, manifeste les points saillants de l'environnement en question, points qui peuvent servir de point de repère. Plus la carte à de détails plus le repérage est facile mais plus la lecture est longue et fastidieuse.

Ces cartes, rapportées au domaine cognitif sont les conceptions et les points de repères sont les concepts. Les concepts sont donc des points de repère qui permettre de comprendre, l'examiner, de classer, de catégoriser un environnement. Certains concepts sont bâtis d'après l'expérience, d'autres non.

L'idée n'est pas qu'un concept vaut pour toutes ses occurrences au sens ou chacune devrait pouvoir s'y superposer, mais le concept doit permettre de repérer ces éléments comme relevant de ce concept suivant ce point de repère en question.

Un même environnement peut être cartographié de différentes manières: une carte de la population, une carte des transports et une carte géologique peuvent représenter le même espace mais avec des points de repère différents. Il en va de même pour les concepts.

Potentiellement tout peut être un concept comme tout détail peut devenir un point de repère s'il est utilisé en tant que tel. Il s'agit alors de l'indiquer comme point de repère pour une compréhension, une lecture et de structurer l'étude à partir de lui, c'est-à-dire développer une conception adéquate et cohérente.

L'art de la cartographie est subtil et délicat, la lecture de ses produits, les cartes, nécessite juste de l'attention. C'est la même chose pour les conceptions.

Un concept est donc un point de repère dans une pensée au sens d'une analyse, une étude, une présentation d'un domaine. Il s'agit alors de délimiter ce domaine et l'explication qu'on entend en donner et d'exposer à l'aide des traits saillants et caractéristiques nécessaires, à savoir, les concepts, qu'ils soient abstraits ou non, nouveaux ou non, compliqués ou non.

[Thèse sur les concepts, Benjamin Sylvand]

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