mardi 24 juin 2008

Caractère: accident essentiel.

Le caractère est un accident essentiel, si je peux dire, d'un personnage. Accident car aucune nécessité ne fait qu'un personnage ait tel ou tel caractère. Le caractère est un trait caractéristique qui dans d'autres circonstances, mondes ou situations aurait pu être différent. Pour un être humain il est nécessaire d'avoir un caractère mais accidentel que celui-ci soit l'avarice ou la jalousie.

Essentiel car le caractère contingent du personnage est un de ses traits caractéristique et en ce sens ne peut être modifié sans que le personnage le soit entièrement. Un avare reste un avare même si se contient ou s'éduque.

Déterminer le caractère d'un personnage est difficile. Un personnage est et doit être complexe dans la mesure où ses traits caractéristiques n'ont pas la même force et densité en fonction des situations qui l'expose et le révèle. Un avare sera plus avare lorsqu'il s'agira de donner son argent pour une bonne cause que lorsqu'il s'agira de s'acheter une nouvelle chemise. Il restera avare mais plus ou moins. Pareil pour la jalousie et pour tout autre trait de tempérament.

Mais le personnage doit constamment garder son tempérament. Le tempérament est l'équilibre du personnage. L'avare aura son point d'équilibre et son centre de gravité sur l'attachement excessif aux richesses par exemple. Le tempérament donne la personnalité et par conséquent la manière de penser et d'agir du personnage, c'est-à-dire sa conception du monde. Le monde de l'avare est un monde de richesse et de peur perpétuelle de se les faire dérober ou la volonté constante de vouloir se les approprier. Toute situation dans laquelle apparaît l'avare est structurée pour lui, de cette manière là.

La principale différence ce me semble entre ce qu'il est appelé “réalité" et la fiction est que dans la réalité la vision du monde de l'autre et peut-être même de soi, est opaque alors que dans la fiction elle est révélée et transparente. Dans une fiction l'avare voit effectivement de l'or partout même si dans la réalité c'est de l'étain ou du fer.

La fiction est le monde structurée selon une conception déterminée et donc claire et précise. Elle n'a de fonction que de révéler la situation dans lequel le personnage agit, de sorte qu'il ne soit nul besoin d'expliciter autrement le tempérament et le caractère du personnage par le truchement d'une voix off, d'une indication ou d'un monologue.

En montrant et en révélant le caractère du personnage, la fiction permet de prendre une distance avec qui agit comme un verre grossissant nous présentant l'être humain dans une dimension qui ne nous est jamais ou que très rarement transparente, et ce bien entendu pour divertir mais également et incidemment nous enseigner.

Dessiner le caractère d'un personnage est difficile car cela oblige à une compréhension profonde de cette dimension psychologique. Un bon auteur parvient à faire ce travail de manière “inconsciente" ou “implicite" au sens où il ne serait pas nécessairement expliciter le caractère d'un point de vue abstrait et détacher des situations par lesquelles il le manifeste. Un mauvais auteur fera un personnage boiteux, unidimensionnel ou pire comme un agrégat de traits qui non essentiels: le personnage d'un coup deviendra jaloux puis d'un coup avare, puis d'un coup curieux sans aucune cohérence et sans aucun respect pour la personnalité de celui-ci. Un personnage n'évolue par en ce sens car un être humain n'évolue pas ainsi, ce qui change ce sont les manifestations de ce caractère, les situations qui le révèlent plus ou moins, ou bien le combat du personnage avec son propre caractère. Ce ne sont donc pas des changements d'état qu'il faut mais des nuances dans un même registre. C'est difficile, ça se travail et ça s'apprend.

vendredi 20 juin 2008

Comment faire plus d'un personnage: la difficile tache du scénariste.

L'une des innombrables difficultés du scénariste est de parvenir à créer plus d'un personnage. Par là il faut comprendre “personnage" au sens fort du terme, un personnage avec une personnalité qui lui soit propre et des caractéristiques particulières. Alors, si inventer des caractéristiques et encore quelque chose de pas trop compliqué, la personnalité est une autre paire de manche.

Il ne suffit pas d'affubler quelqu'un d'un chapeau pour en faire quelqu'un. Faut-il encore faire ce que ne soit pas qu'un pantin, une marionnette ou un épouvantail. Un personnage doit vivre et la vie d'un personnage doit pousser de l'intérieur, sortir d'elle-même et le mouvoir de manière toute à fait autonome et spontanée. Un professeur d'esthétique répétait jusqu'à radoter au sujet des ronde-bosses grecques qu'elles poussaient de l'intérieur contrairement au copies taillées romaines qui étaient pataudes et lourdes à côté de leurs originaux. Il en va de même pour les personnages.

Cette difficulté est générale et s'étend bien au delà du scénario. Philosophiquement et pompeusement c'est le problème de l'autre, d'autrui. C'est un problème difficile d'abord car il oblige à s'effacer un peu devant quelqu'un autre pour imaginer, penser, concevoir, écouter, admettre, comprendre ce qu'il peut penser, vouloir, croire ou désirer et ce indépendamment de nous, c'est-à-dire sans préjugé ni jugement. Le risque à prendre est de voir que cet autre peut avoir des comportements qui nous dépassent. Il faut l'accepter. Il faut parfois accepter de se corriger soi-même, de reconnaître une erreur ou bien au contraire essayer de convaincre ou d'expliquer à cette entité étrange qui résiste en nous regardant avec de large yeux qui appellent réponse et reconnaissance.

Vouloir passer en force, minimiser ou ignorer l'avis de l'autre c'est le nier et par de là accepter que lui puisse avoir la même attitude et réaction vis-à-vis de nous. C'est faire d'un obstacle un mur au lieu d'essayer de le transformer en jalon. Cela est vrai dans la vie: aussi bien en art qu'en politique ou en philosophie.

Refuser l'autre c'est se condamner au solipsisme. Créer un personnage est déjà une chose difficile car elle suppose de s'extérioriser, mais dans le pire les cas l'auteur arrive encore à faire de ce pseudo-autre un soi déguisé et y place ses propres attentes, désirs, croyances et connaissances comme moteur. C'est boiteux et ne trompe pas grand monde mais cela peut ressembler à un personnage. L'écueil ensuite et d'en faire un deuxième. Alors là l'auteur vert badigeonne deux trois mannequin de personnes qu'ils côtoie de la manière dont il les côtoie c'est à dire de l'extérieur. Les habits sont détaillés mais les intentions grossières et grotesques. L'un est radicalement méchant lorsque l'autre est mièvrement gentil. Point.

Or un personnage est un caractère, au sens de Théophraste et de La Bruyère. Si ce n'est pas un être vivant comme ceux que l'on côtoie dans la vie de tous les jours, il est mue par des réflexions et des pensées qui ne sont pas figées mais vivantes, qui agissent et se contredisent pour lui faire désirer ceci et puis non cela, qui est méchant mais avec des remords, gentil par calcul et nécessité, qui à peur, froid, faim et sommeil. Et lorsque l'auteur l'accepte et le laisse se développer alors il prend vie dans les situations qu'imagine l'auteur et celles-ci deviennent autre choses que des actions vides mais des prétextes à révéler les subtilités de ceux qui y participent. C'est là que tout devient magique et c'est là que l'art nous apprend quelque chose, car sans le vouloir il nous montre comme des personnages y font fasse et par là comment nous, peut-être, nous pourrions le faire.

Créer plus de deux personnages (c'est-à-dire au moins un qui est plus que le pale miroir de son auteur) est un défi, mais lorsqu'il est surmonté cela commence à pouvoir devenir de l'art, d'ailleurs le reste ne va jamais beaucoup plus loin que la page blanche.

Mais c'est une tache difficile, en art, en philosophie tout comme en politique, ça s'apprend et se travaille.

jeudi 19 juin 2008

Fiction ou réalité? Le dilemme du scénariste.

Fiction ou réalité, telle est la question.

Cette distinction est l'une de celles utilisées pour démarquer le film fictionnel ou romancé du documentaire, mais c'est aussi une distinction que la plus part des auteurs refusent, du moins ceux à qui l'on pose la question.

D'un côté cette distinction semble tout à fait légitime. Par fiction serait entendu tout ce qui est sorti de la tête ou de l'imagination de le l'auteur alors qua réalité désignerait ce qui vient du monde et que l'auteur ne ferait que capter avec son moyen d'expression.

Derrière une telle distinction semble parfois ressortir un relent de critique envers la fiction qui serait une moindre réalité ou bien au contraire du documentaire - si tant est qu'il corresponde à la réalité - pour manque d'imagination et de créativité.

De manière essentielle cette distinction est évidemment problématique. Elle tend à recouper l'opposition entre un réalisme d'un côté et un empirisme de l'autre. Or si cette opposition peut avoir un sens dans une épistémologie il est difficile de voir lequel elle pourrait avoir dans une esthétique.

Une fiction qui ne se nourrirait pas de la réalité aurait bien peu de chance de ressembler à quelque chose, non seulement parce que cela signifierait que son auteur est totalement transparent, ce qui est déjà difficile à concevoir, mais également et surtout qu'elle serait absolument incompréhensible à un public humain qui lui se base pas mal sur la réalité pour ancrer la signification des choses. Toute fiction, d'une manière ou d'une autre, se rattache à la réalité, soit pour la dépasser, la transformer ou la nier, mais elle reste comprise par rapport à la réalité. Le problème est alors de savoir ce qu'il faut entendre par réalité. Réalité peut être entendu dans un sens strict étroit comme tout ce qui ne dépend pas de l'Homme, ou bien d'une manière plus large comme tout ce qui ne dépend pas d'un homme en particulier. Dans le premier cas cela regroupe tout ce qui est lorsque vous enlever les humains du tableau, dans l'autre n'est réel que ce qui peut être commun au moins à deux êtres humains, ceux-ci restent donc dans le cadre mais on enlève tout ce qui se passe dans l'esprit d'un seul et qui ne se retrouve dans aucun autre. La fiction comme exempte de toute réalité dans le premier sens est inaccessible à l'Homme et donc ne peut pas correspondre à la fiction telle que nous en parlons. La fiction exempte de réalité dans le second sens serait un langage privé absolument incompréhensible à tout autre que celui qui le pense. Dans les deux cas la chose n'est pas souhaitable.

Maintenant le problème est symétrique pour la réalité. Si la réalité est tout ce qui est indépendamment des Hommes alors elles est inaccessibles et si elle est ce qui est commun au moins à deux êtres humains différents, alors elle est très vaste.

La réalité et la fiction ne serait que deux nuances d'un spectre coincé entre un monde privé et un monde dépeuplé. Vu de cette manière je crois que la question prend une autre forme.

Cependant il serait également intéressant de se poser la question du statu de l'histoire dans l'espace épistémologique. En effet ce bipolarisme est trop étroit. Personne n'est vraiment réaliste pur et dur comme personne n'est empiriste fanatique. Mais certains voudraient n'être ni l'un ni l'autre. Certains objets que l'on peut penser ont un statu bizarre, que l'on appel “universaux" ou “abstraits" qui correspondent à des entités uniques, clairement définissables et distinguables d'autres entités et qui pourtant n'ont aucune existence sensible en propre. Ces entités comme “chaise" par exemple qui désigne n'importe quelle chaise sans n'être aucune en particulier, “liberté" ou “π", sont un casse tête pour les ontologues. Si certains continuent à vouloir les faire réelles ou bien au contraire idéales, d'autres proposent de les mettre ailleurs, dans un “troisième royaume" pour reprendre l'expression de Gottlob Frege, un monde situé entre les deux, entre la réalité dépeuplée et l'expérience sensible humaine.

Qu'est-ce que ce troisième monde? Ce “juste milieu" correspond aux “conceptions", c'est-à-dire au réseau de concepts organisés pour désigner de manière complexe. Une histoire, une théorie mathématique, une carte topographique sont autant de représentations complexes dans le sens où elles font intervenir plusieurs représentations combinées entre elles afin d'en former une nouvelle. Ces conceptions sont des constructions mentales, composées de concepts articulés entres eux. Ces concepts sont réels aux sens où ils sont publics. Cependant ils dépendent grandement des Hommes puisque la communication et les échanges entre humains les modifient. Si vous enleviez les agents cognitifs du monde, les concepts n'apparaîtraient pas. Mais les concepts ne sont pas accessible par l'expérience au sens usuel du terme, ils ne se sentent pas à l'aide des sens qui nous mettent en contact avec le monde sensible. Ils sont accessible par la pensé, l'esprit, la réflexion, le langage, la culture. Si certains veulent considérer que c'est un sixième (ou plus) sens, qu'ils le fassent mais comme il n'est pas coutume de le dire, certains préfèrent considérer qu'il y a un entre-deux entre la réalité brute et l'expérience sensible.

L'espace des conceptions est certainement un très bon lieu où mettre le scénario, entre fiction pure et réalité brute. C'est un espace de pensée, nourri et enrichi de réalité mais qui est une manière de la structurer, de la dessiner et de la modeler pour l'expérimenter, la dépasser et la comprendre. Certains essaient d'y coller au plus près, d'autres au contraire de voir jusqu'où il est possible de s'en éloigner. Ce spectre, entre autre est celui de l'art et celui du scénario.

Tout comme aucune construction humaine est dénuée de scénario, aucune conception n'est exempte de réalité, ni de fiction d'ailleurs.

samedi 14 juin 2008

Scénario / dissertation: l'ordre d'écriture.

Les élèves et les étudiants sont souvent surpris lorsqu'on leur expose pour la première fois la méthode de la dissertation, en particulier de philosophie. Le processus de travail implique de réfléchir de manière non linéaire. Bien souvent la première réaction que vous obtenez lorsque vous leur soumettez un sujet et de les voir foncer tête baisser à partir du coin supérieur gauche d'une copie double, écrire frénétiquement, s'essouffler, le rythme diminue lentement pour péniblement échouer dans le premier tiers du verso de la page suivante, et puis là ensuite c'est le grand blanc... Pourquoi? parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils veulent écrire, parce qu'ils n'y ont pas assez réfléchis et parce qu'ils ne pensent qu'à une chose: arriver au bout, sans s'être posé la question de comment. Une dissertation c'est un 5000 mètres, il ne faut ni partir pour un 100 mètres ni pour un marathon. Écrire une dissertation cela s'apprend. Il doit en être de même pour un scénario.

Pour écrire une dissertation il faut commencer par la fin, ou presque. Savoir ce que l'on veut dire: la conclusion. Mais évidemment pour cela il faut savoir de quoi on veut parler, donc le sujet, et la manière dont la réponse est apportée au sujet détermine la conclusion. En somme il y a un va et vient constant entre ces deux entités: la conclusion et l'introduction. Ensuite tout se déroule calmement et lentement: dans le développement il suffit d'exposer les étapes qui permettent d'aller de l'introduction à la conclusion et ce tout en sachant pertinemment où l'on va (la conclusion) sans jamais brûler les étapes car il faut être conscient que le lecteur lui, même s'il peu imaginer ou suspecter où vous l'emmener, ne le sait jamais avant d'avoir lu votre copie. Il faut ménager un suspens sur quelque chose que l'on sait déjà. Je crois que c'est cela que les étudiants ont le plus de mal à comprendre: arriver à faire abstraction de ce que l'on sait pour adopter le point de vu du lecteur tout en le guidant à son insu. Ce n'est pas facile mais cela s'apprend et les résultats sont surprenants. Car réussir cela c'est réussir à maîtriser son sujet, sa réflexion et la manière de l'exposer, et c'est exactement ce que l'on demande à un étudiant de philosophie.

Je ne suis pas expert en scénario mais je crois que cela marche de la même manière, à la fois pour l'écriture même du scénario mais également dans le processus qui l'incorpore. C'est ce qui fait qu'un scénario est vivant, car il possède une structure interne propre mais également s'adapte à son lecteur. Il n'est pas aberrant alors qu'un scénario puisse être a posteriori ou simplement être finalisé à la fin du processus qui l'emploi. Pensez au documentaire par exemple. La réalisation d'images peut très bien être l'étape de glanage d'information exactement comme les lectures et les recherches préalables sont le fourrage d'une thèse de philosophie. La mise en forme intervient dans un second temps, avec en particulier la sélection des données. Cette étape correspond au montage. Mais le plan de montage ou de sélection dépend évidemment d'un propos et donc d'un scénario qui n'est pas a priori mais fondé sur ces données. Il est tout aussi évident que les images ou les données ont été recueillies dans l'optique de quelque chose, même si cette perspective reste très vague et flou. C'est une sorte de pré-scénario, ou il serait plus juste de dire que c'est une idée préalable, qui est présente dans tout film ou toute thèse pour que cela puisse donner quelque chose.

La forme ne fait pas tout. Pas plus que le fond d'ailleurs. Du matériau accumuler sans ordre ni direction n'est qu'un fatras sans signification. Une forme vide est une page blanche. Il faut un équilibre entre les deux qui est l'organisation d'un contenu sur une page blanche, quelle que soit sa forme. Il en va de même pour la thèse, la dissertation ou le scénario. L'écriture s'apprend.