vendredi 20 juin 2008

Comment faire plus d'un personnage: la difficile tache du scénariste.

L'une des innombrables difficultés du scénariste est de parvenir à créer plus d'un personnage. Par là il faut comprendre “personnage" au sens fort du terme, un personnage avec une personnalité qui lui soit propre et des caractéristiques particulières. Alors, si inventer des caractéristiques et encore quelque chose de pas trop compliqué, la personnalité est une autre paire de manche.

Il ne suffit pas d'affubler quelqu'un d'un chapeau pour en faire quelqu'un. Faut-il encore faire ce que ne soit pas qu'un pantin, une marionnette ou un épouvantail. Un personnage doit vivre et la vie d'un personnage doit pousser de l'intérieur, sortir d'elle-même et le mouvoir de manière toute à fait autonome et spontanée. Un professeur d'esthétique répétait jusqu'à radoter au sujet des ronde-bosses grecques qu'elles poussaient de l'intérieur contrairement au copies taillées romaines qui étaient pataudes et lourdes à côté de leurs originaux. Il en va de même pour les personnages.

Cette difficulté est générale et s'étend bien au delà du scénario. Philosophiquement et pompeusement c'est le problème de l'autre, d'autrui. C'est un problème difficile d'abord car il oblige à s'effacer un peu devant quelqu'un autre pour imaginer, penser, concevoir, écouter, admettre, comprendre ce qu'il peut penser, vouloir, croire ou désirer et ce indépendamment de nous, c'est-à-dire sans préjugé ni jugement. Le risque à prendre est de voir que cet autre peut avoir des comportements qui nous dépassent. Il faut l'accepter. Il faut parfois accepter de se corriger soi-même, de reconnaître une erreur ou bien au contraire essayer de convaincre ou d'expliquer à cette entité étrange qui résiste en nous regardant avec de large yeux qui appellent réponse et reconnaissance.

Vouloir passer en force, minimiser ou ignorer l'avis de l'autre c'est le nier et par de là accepter que lui puisse avoir la même attitude et réaction vis-à-vis de nous. C'est faire d'un obstacle un mur au lieu d'essayer de le transformer en jalon. Cela est vrai dans la vie: aussi bien en art qu'en politique ou en philosophie.

Refuser l'autre c'est se condamner au solipsisme. Créer un personnage est déjà une chose difficile car elle suppose de s'extérioriser, mais dans le pire les cas l'auteur arrive encore à faire de ce pseudo-autre un soi déguisé et y place ses propres attentes, désirs, croyances et connaissances comme moteur. C'est boiteux et ne trompe pas grand monde mais cela peut ressembler à un personnage. L'écueil ensuite et d'en faire un deuxième. Alors là l'auteur vert badigeonne deux trois mannequin de personnes qu'ils côtoie de la manière dont il les côtoie c'est à dire de l'extérieur. Les habits sont détaillés mais les intentions grossières et grotesques. L'un est radicalement méchant lorsque l'autre est mièvrement gentil. Point.

Or un personnage est un caractère, au sens de Théophraste et de La Bruyère. Si ce n'est pas un être vivant comme ceux que l'on côtoie dans la vie de tous les jours, il est mue par des réflexions et des pensées qui ne sont pas figées mais vivantes, qui agissent et se contredisent pour lui faire désirer ceci et puis non cela, qui est méchant mais avec des remords, gentil par calcul et nécessité, qui à peur, froid, faim et sommeil. Et lorsque l'auteur l'accepte et le laisse se développer alors il prend vie dans les situations qu'imagine l'auteur et celles-ci deviennent autre choses que des actions vides mais des prétextes à révéler les subtilités de ceux qui y participent. C'est là que tout devient magique et c'est là que l'art nous apprend quelque chose, car sans le vouloir il nous montre comme des personnages y font fasse et par là comment nous, peut-être, nous pourrions le faire.

Créer plus de deux personnages (c'est-à-dire au moins un qui est plus que le pale miroir de son auteur) est un défi, mais lorsqu'il est surmonté cela commence à pouvoir devenir de l'art, d'ailleurs le reste ne va jamais beaucoup plus loin que la page blanche.

Mais c'est une tache difficile, en art, en philosophie tout comme en politique, ça s'apprend et se travaille.

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