jeudi 30 septembre 2010

Nachtwey > chronique pour TrENSistor



Le livre d'or est une bonne clé d'entrée dans l'exposition de Nachtwey. Vous avez déjà vu ses photos même sans nécessairement le connaitre, collaborateur de Time, membre de Magmum, maintenant de l'agence VII qu'il a co-fondé en 2001, son travail est couronné des prix les plus prestigieux et repris dans l'ensemble de la presse.

Il y a ceux qui ne laissent pas de message et traversent la salle de la Bibliothèque de la Part-Dieu au pas de charge pour fuir, avec complaintes et grimasses, l'horreur montrée, insoutenable.

D'autres commentaires soulignent la beauté plastique, superbe, de ces grands tirages sous verre, en noir et blanc ou en couleur, et l'importance de ce témoignage de la barbarie humaine et du chaos du monde. Une interrogation transparait sans cesse cependant: comment peut-on montrer, photographier la guerre? Nachtwey revendique la nécessité de rendre compte de ce qui sinon ne reste qu'abstrait, mais d'aucuns mettent le doigt sur l'une des questions les plus épineuses et fondamentales du photojournalisme: est-il possible de prétendre atteindre à la vérité à partir d'un point de vue particulier? C'est un double problème: à la fois épistémologique: tous ces événements qui nous ébranlent et nous affectent parce qu'ils sont universels ne sont finalement que des histoires locales; et un problème moral: peut-on montrer la souffrance d'un individu sous prétexte qu'elle illustre celle d'un ensemble? C'est justement une question qui obsède Natchwey: je cite \emph{« Le plus grand problème auquel je suis confronté dans mon travail de photographe de guerre, c’est le risque de profiter de la détresse des autres. Cette pensée me hante. Elle me tracasse jour après jour, car si je laissais la carrière et l’argent prendre le dessus sur ma compassion, je vendrais mon âme. »}

Beaucoup par exemple rejettent, parfois très violemment, le terme “sacrifice" dans le titre du grand panneau de 60 photos de soldats américains blessés en Irak en 2006, en lui reprochant sa nationalité américaine et par extension le rendant responsable de la politique de son pays. C'est un autre problème: peut-on porter un regard critique sur le monde sans en être soi-même acteur et donc responsable?

Mais l'exposition et le travail de reporter de Nachtwey qu'elle présente à travers 88 photos et un diaporama vidéo, est un succès en ce qu'elle ne laisse pas indifférent jusqu'au silence monacal de ceux qui scrutent l'absolu derrière ces histoires singulières et se recueillent devant des superbes photographies comme autant d'icônes des tragédies de nos époques. C'est jusqu'au 15 janvier 2011 à la Bibliothèque de la Part-Dieu à Lyon, c'est gratuit, il faut y aller.

Le site de l'exposition.
Le site du photographe.

Visconti > chronique pour TrENSistor



Affiche peinte, format à la française signée Gonzalez.
Fond banc: au centre, dans la partie supérieure, un homme en buste qui, si ses cheveux et ses favoris sont encore blonds, a le teint passé, encore rose sur la partie droite, franchement déssaturé sur sa gauche: plus qu'un homme c'est un spectre, écho à la scène de la messe.

À gauche sur l'affiche, le visage d'un jeune homme, en noir et blanc. Ce pourrait être lui dans le passé mais c'est son neveu. Regard franc et décidé, il incarne la voracité jusqu'au cynisme: il changera d'ailleurs plusieurs fois d'uniformes, des chemises rouges (qui, pour les besoins du film ont du être trempées dans le thé, enterrées puis exposées au soleil pour leur donner cette couleur) jusqu'au épaulettes de l'armée royale. À droite, espace graphique de l'avenir, une jeune femme, très belle, chignon, boucle d'oreille de diamant. Elle est la fraîcheur, un peu naïve peut-être, maladroite parfois jusqu'à la vulgarité (voir le premier repas) mais qui sait jouer la situation. Trois portraits, trois regards, trois époques: l'Italie féodale finissante, le présent incertain et chaotique de la guerre civile, l'espoir de la République.

En rouge, légèrement incliné, le titre. Le Guépard. Tiré du roman éponyme de Giuseppe Tomasi di Lampedusa (évoqué lors de la présentation des convives au colonel) ce fut un succès de librairie qui malgré son conservatisme reproché est considéré comme le premier roman italien moderne. L'adapter était risqué, comme toute adaptation. Visconti le fait à merveille, évidemment, et rend l'atmosphère sicilienne avec brio. Sicile donc, 1860-63: les troupes de Garibaldi débarquent et se heurtent à la garde bourbonnaise. Troubles à Palerme, le prince Fabrizio Corbera de Salina, Burt Lancaster à l'écran, part avec sa famille dans son palais de villégiature à Donnafugata, dans le centre de l'île, mais pas tant pour fuir que pour s'en tenir à son agenda. Aveugle au faits ou incapable de changer son mode de vie: “pour que rien ne change, il faut que tout change". Lucide, fataliste.

Paradoxalement il s'intéresse plus à son neveu qu'à ses nombreux enfants, dégoûté sans doute par la vision de ces cousines congénitales ricannantent dans une antichambre du bal, il va le marier à Angela, la fille du maire libéral du village. Parce que c'est ce qu'il y a de mieux à faire.

Le casting: “Burt Lancaster", un choix qui devient évident à l'écran “Alain Delon, Claudia Cardinale", mais aussi “Serge Reggiani". En haut un bandeau mentionne la palme d'or 1963.


Le Guépard, c'est l'histoire d'un contrat de mariage. Tout le reste qu'est que prétexte à l'art magistral de Visconti dont la réputation proverbiale pour sa minutie des décors et de la mise en scène n'est pas prise en défaut (notamment dans la scène du bal de 45 minutes). L'image, en “supertechnirama" (procédé de gonflage du 35mm en 70mm pour la projection) et “technicolor" est superbe et le sera plus encore dans la version restaurée présentée en clôture du festival Lumière.