mardi 5 mai 2009

L'art de diriger les Hommes en période de crise et de situation extraordinaire.

Lorsqu'on lit les récits d'expéditions polaires, que ce soit ceux de Charcot, de Nansen, d'Admunsen, de Shakelton, de Scott ou des autres, ce qu'il en ressort est que la survie d'une expédition en milieu hostile, en conditions difficiles voire extrêmes, avec un risque important et vers l'inconnu ou un but dont on ignore qu'il soit possible d'atteindre, cette survie dépend essentiellement d'un seul facteur, celui du moral des troupes.

Les récits polaires regorgent d'anecdotes extraordinaires qui relatent la survie d'êtres humains dans des conditions absolument inimaginables. Les survivants de l'expédition Franklin ont subsisté durant deux hivers sans rien au milieu du grand nord et ce simplement parce qu'ils espéraient pouvoir un jour revoir leur Angleterre. Shakelton a traversé l'océan antarctique sur une barque pour aller chercher du secours pour ses hommes.
L'Homme est un animal capable d'une force hors du commun qui l'épate lui-même lorsqu'il veut parce qu'il croit. Cette croyance n'est pas nécessairement religieuse, il s'agit simplement pour lui de se fixer un but, un objectif et de penser qu'un certain nombre de sacrifice ou d'obstacles valent la peine ou le coût d'être affrontés et surmontés pour y parvenir. En somme la valeur accordée au but est supérieure à la somme de toutes les difficultés, autrement dit, aux valeurs négatives qu'il faut payer pour l'obtenir.

Si les hommes de Nansen sont convaincus qu'il est préférable de traverser le Groenland que de faire demi-tour, alors ils traverseront le Groenland quelles qu'en soient les difficultés. Nansen dit bien que ces hommes n'en sont pas vraiment convaincus au départ et que ce qui parviendra finalement à les motivés ne sont pas les mêmes raisons que les siennes, mais en bon chef d'expédition il sait parler à ses hommes, il sait les comprendre, les écouter et trouver les mots justes pour les motiver.

La réussite d'une expédition dépend du moral des troupes. Ce moral repose sur ce que ces hommes acceptent, ce qu'ils croient, ce qui les motive. Le chef doit le comprendre et doit savoir en jouer. Ce n'est pas mener un homme par le bout du nez de lui promettre ce qu'il veut si c'est effectivement ce qu'il peut avoir en définitive, même si cet objectif n'est pas celui visé par le chef ou la raison d'être de l'expédition.
Nansen voulait prouver que le Groenland était une terre continue et qu'il n'y avait pas de mer intérieure qui le traversait et pour cela, il voulait montrer qu'il était possible de le traverser à ski. Ses hommes, au moins certains, n'avaient strictement que faire de prouver cela, ce qu'ils voulaient c'était être payé et pouvoir rejoindre le plus rapidement possible leur Laponie natale. Ces objectifs sont évidemment compatibles sur le fait de traverser le Groenland. En ménageant son discours Nansen est parvenu à ses fins.

Maintenant, en ouvrant la radio et en lisant les journaux, le flux d'informations rapporte que les universités sont encore bloquées, que des patrons sont séquestrés, qu'il y a des grèves dans les services de santés et des affrontements entre les forces de l'ordre et les gardiens de prison. Bref, qu'une partie de la population n'est pas très heureuse de son sort.
D'aucuns analysent la situation comme pré-révoluationnaire et le prélude d'une lutte organisée et collective. D'autres, évidemment plus proches du gouvernement, parlent d'épiphénomènes, d'intérêts individualistes et localisés, sporadiques et manipulés. Le parti majoritaire demande même que des actions de justices soient prises contre les manifestants. Statistiques à l’appui l'argumentaire tourne autour du pouvoir d'achat qui en fait n'est pas aussi mauvais que les gens veulent bien le croire et que la crise n'affecte qu'une infime partie de la population qui, au ton, de toute manière ne s'en sortirait même pas en période florissante.

Certes le discours se heurte à quelques phrases qui évidemment sont dites sorties de leur contexte et de leur situation, par exemple sur la rémunération de certains, patrons, sportifs ou artistes et sans bien savoir ni comment ni pourquoi le politique à décider de réguler le financier à coup de moral. J'avoue ne toujours pas très bien comprendre ce que la morale vient faire avec les affaires mais bon il faut croire qu'il suffit d'écouter et d'y croire, un peu incrédule, puisqu'aucun argument un tant soit peu consistant n'a pour le moment été fourni.

Tout cela pour nous expliquer que les dirigeants c'est-à-dire le gouvernement et en premier lieu le chef de l'État font ce qu'il faut faire du mieux qu'il faut pour juguler la crise. Et que les mécontents sont de mauvaise foi et que de toute manière il faut bien des sacrifiés sur l'autel du bien commun pour faire marcher au mieux le pays. En somme, laisser des Hommes au bord du chemin est une bonne chose du moment que l'expédition avance un peu. Or c'est bien méconnaître les expéditions que de suivre un tel raisonnement. C'est ne pas comprendre que les Hommes craignent plus leurs propres peurs et leur propre sort que celui des autres. Un homme ne pleure pas un laissé pour compte parce qu'il est un laissé pour compte, mais il pleure le fait que si lui-même venait à défaillir lui serait laissé sur le bord du chemin aussi simplement que celui qui vient de l'être. Les SDF font peur simplement parce qu'on sait que le loyer devient de plus en plus difficile à régler en fin de moi, et si on donne une pièce c'est en guise de placement sur la générosité des autres.
Ne pas comprendre cela, ne pas vouloir le comprendre, ne pas l'entendre ou savoir l'entendre est risqué. Risqué puisque c'est misé sur la réussite de l'expédition non pas à la force des Hommes et de leur moral, en en comptant sur le matériel. C'est croire qu'il est préférable de s'attaquer au Pôle Sud avec des chevaux et des tracteurs plutôt qu'avec des hommes qui comprennent ce qu'on attend d'eux et qui croient qu'on leur fait confiance.

Le matériel n'est rien si personne ne s'en sert. Le meilleur outil reste inutile si aucune utilité ne lui est donnée et aucun usage n'en est fait. Un enfant peut s'amuser d'un mouton de poussière et s'ennuyer au milieu d'un magasin de jouet.

Lorsqu'il y a trente ans les gens demandaient du rêve ils demandaient simplement à croire en quelque chose, un premier moteur, quelque chose à faire, à vouloir.

Mais penser qu'il est possible de donner de la volonté à quelqu'un, de lui donner du rêver ou quelque chose à croire, relève du paradoxe pragmatique. On n'interdit pas d'interdire, on n'impose pas la spontanéité, on ne rêve pas pour les autres.

Le chef aveugle qui conduit ses hommes comme une armée de robot est un Napoléon qui s'enlise dans les frimas de la défaite. C'est un explorateur qui après avoir laissé tous ses hommes tombe en panne d'essence dans le désert et qui peste contre la fatalité.

D'autant que si le chef prend le temps d'écouter ses Hommes, le plus souvent il est surpris de ce en quoi ils croient et ce que sont réellement leurs motivations et leurs demandes. Elles sont parfois dérisoires, infimes et minimes. Surpris il répond “c'est tout? mais il fallait le dire plus tôt, inutile de faire autant de bruit pour si peu". Oui, mais le bruit ne raisonne pas dans le vide.

La gronde qui grogne dans le pays n'est peut-être pas un prélude à une révolution, ce n'est peut-être pas 89 ou 68, mais c'est peut-être pire. C'est peut-être l'avènement d'une politique de sourds gouvernant des muets sous le regard d'aveugles.

N'importe quel Nansen, Charcot, Scott, Shakelton ou Admunsen aurait désireux de préserver son expédition et l'espoir d'atteindre des objectifs initiaux aurait tenté d'écouter, rien qu'écouter ses hommes, parce qu'il sait que sans eux il n'est rien et qu'il ne peut rien.

Bien sûr, même si ces grands explorateurs étaient pour la plus part militaires, ils ne maniaient pas leurs Hommes comme on manie une armée. Il est dommage que la politique soit à l'heure actuelle plus proche de l'art de la guerre que de celui de l'exploration, de la recherche, de la découverte et du rêve d’une Nation.

Il y aura des pertes, mais peut-être une victoire ou une défaite. Mais rien de nouveau, rien de découvert, rien d'extraordinaire.

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