dimanche 7 septembre 2008

Une grammaire du paysage

Le paysage n'est pas naturel. Dire cela n'est pas dire qu'il n'y a pas de paysage sans Homme, même s'il est vrai qu'au sens premier le paysage est dessiné par le paysan qui aménage l'espace et la nature. Ce n'est pas non plus extrapoler la maxime cartésienne de s'en faire comme maître et possesseur. Non, dire que le paysage n'est pas naturel c'est en fait dire que sans compréhension, sans appréhension, sans lecture de paysage comme le paysage n'existe pas.

L'idée n'est pas non plus de soutenir que nous avons un accès à la Nature indépendamment du paysage. Le paysage est à la nature ce que le phénomène est au noumène. C'est le seul accès que nous en avons.

La lecture de la nature comme paysage est un phénomène si courant qu'il en devient transparent, sauf, évidemment dans ses retranchements. Regarder à travers la vitre de la fenêtre d'un train c'est voir une campagne de dérouler, une ligne d'horizon hérissée de clochers pareils à des mains pointant vers le ciel, c'est voir des troupeaux de bosquets et des tapis de forêts entre des parquets de parcelles labourées, des coutures de routes serpentines, des coulures d'un ciel juste nettoyé. Cette lecture du paysage est aussi transparente que la lecture d'un livre ou d'un roman.

Mais la lecture exige des savoirs et des compétences aussi bien qu'elle exige de les dépasser et de ne plus les voir ou s'en apercevoir. S'il est possible de manier parfaitement une langue ou un langage sans être capable d'expliciter les règles qui le gouverne il n'en reste pas moins que des règles le régissent.

Dans certaines conditions ces règles sont mises à rude épreuve. Dans certains coins les paysages sont si abstraits, si poétiques, si épurés, si directs, si sobres, si simples que leur lecture en dévient aussi complexe qu'un poème ou une peinture abstraite.

La principale difficulté peut-être, celle qui se remarque en premier est celle qui concerne l'échelle. Lorsque les rapports de grandeurs ne sont pas directement donné le regard se perd et cherche, perdu comme un appareil photo qui ne serait sur quoi faire la netteté. L'échelle d'un paysage est le plus souvent contenue et donnée dans celui-ci; c'est un arbre, un homme, une voiture ou un bâtiment. À partir de ce repère tout se calibre et se toise. Le ciel devient immense ou minuscule et le regard n'a qu'à suivre ces indications pour comprendre et voir. Mais lorsqu'il n'y a rien, ni arbre, ni homme, ni véhicule ni bâtiment, un simple cailloux peut devenu une falaise, une poussière un désert, un ciel un univers, le regard se perd et s'accroche désespérément à tout ce qu'il peut pour s'en faire un repère pour arpenter l'espace et la nature.

Regardez les photos prises par les sondes sur Mars ou la Lune. Quel champ et quelle surface l'image montre-t-elle? Est-ce une immensité ou un espace aussi petit qu'un bac à sable? Sans repère une ombre peut devenir un homme, un cratère une emprunte.

D'autres éléments structurent de manière essentielle le paysage: son horizon, son orientation, ses formes, ses textures, ses couleurs ou encore son époque et sa temporalité. Ces marques forme un lattis réticulaire sur lequel l'interprétation peut s'accrocher et s'arrimer comme à une sorte de grille de lecture. Ces éléments sont interconnectés et s'informent l'un l'autre de sorte qu'à partir d'un fragment il est possible de reconstruire l'ensemble. C'est en cela que c'est une grammaire du paysage.

Grammaire car comme un langage le paysage est une interprétation, une partition et un découpage de l'environnement du monde. Il faut donc qu'il y ait un monde à interpréter, le paysage n'est pas une illusion ou un fantasme, mais il faut également qu'il y ait une lecture de ce monde et donc un lecteur. Le paysage est une relation entre un environnement et quelqu'un qui l'arpente. Cet arpentage se fait par le regard, qu'il soit fixe ou mobile. Ce regard est stimulé par le monde, vient de l'observateur vers le monde qui l'informe et l'oblige à s'ajuster jusqu'à ce que finalement un point de focal apparaisse et permette de le voir. Cette mise au point est l'ajustement de tous ces paramètres qui, nous l'avons dit, sont en équilibres communs et donc s'informent les uns les autres. Une fois l'échelle trouvée, l'horizon apparaît et avec lui les formes et les textures et ainsi de suite.

Lire un paysage c'est maîtriser cette grammaire, c'est savoir l'utiliser et l'employer, cela passe par une éducation du regard, c'est en cela que le paysage n'est pas naturel, au sens ou il n'est pas inné, et c'est cela qu'il faut apprendre et enseigner.

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