mardi 21 juin 2011

Argentique vs numérique

À la suite de l'atelier pellicule 16mm et super-8mm organisé avec l'ETNA au Centre Factory de Villeubanne, il me semble important de revenir sur la querelle récurante de l'opposition entre l'argentique et le numérique.

C'est une lapalissade de dire que les étudiants en cinéma utilisent maintenant essentiellement pour ne pas dire exclusivement le numérique et même maintenant filment plus volontiers avec un APN (appareil photo numérique), le D5 ayant le vent en poupe ces derniers temps.

Le plus frappant dans cette opposition est d'abord qu'elle est historique: la pellicule étant pensée comme ancienne et passée (projetez un film en super-8 que vous venez de tourner et de développer avec les étudiants, la première remarque est “oh! c'est un film des années 70!") ce qui induit qu'il n'est pas possible d'utiliser l'argentique à l'heure actuelle sans être ringard.

Mais outre ces subtilités un peu anachroniques et naïves, le plus important je pense, est qu'une différence intrinsèque et fondamentale est posée entre les deux supports sur l'ontologie de l'image et sur sa pratique.

À la projection d'une image argentique, l'étonnement de voir apparaître une image qui paraît aussi palpable que matériel déroute les étudiants en cinéma au point qu'ils demandent “comment ça se fait que l'image apparait sur l'écran", alors même qu'ils sont habitués à regarder des images projetées au vidéo-projecteur sur ce même écran. Effectivement il y a une différence dans les couleurs, dans le faisceaux, mais cela vient plus de la lampe du projecteur que de l'image elle-même.

L'image n'est pas pensée là où elle devrait l'être, c'est-à-dire ce que le spectateur voit: sur l'écran. Mais au contraire il semble qu'elle soit pensée bien avant sa réalisation: dans son idée, sa conception, son image mentale. Cette différence est essentielle dans la mesure où seule l'image matérialisée peut-être considérée comme telle, ce qui implique que les étapes des prises de vues, de développement ou de montage ne se situent pas après l'image comme des actions sur elles mais bien comme des étapes d'un processus qui abouti à l'image. Il est capitale de le souligner dans la mesure où les images surexposées par exemple ne sont pas des “images ratées", mais simplement des images faites de manière surexposées, ce qui implique une intention de la surexposition. Si ce n'est pas le cas, alors effectivement elles sont ratées parce que différentes de l'objectif visé, mais alors c'est une question de pratique et de manipulation dans la réalisation de l'image. Trop souvent les étudiants semblent imaginer que l'imagination qu'ils bâtissent à partir d'un scénario suffit pour faire un film.
Si les pratiques entre l'argentique et le numérique sont différentes ce n'est pas par différence essentielle mais par différence de pratique. Qui prend encore sa lumière à la cellule en numérique? La question choque même les plus avertis de ces étudiants qui arguent qu'ils font la balance des blancs, sans pour autant spécifier sur quel point ils se basent.
Qui utilise encore un viseur de champ? La plus part ignore même ce que c'est.

L'idée que l'image de l'écran de control est l'image prise par la caméra est aussi trompeuse que de croire que celle de l'œilleton est celle de la pellicule. C'est autant une méconnaissance de l'optique que du mécanisme de la caméra.

Il faut poser le problème de manière inverse: non pas opposer l'argentique au numérique mais bien partir de l'image. L'argentique n'est ni mieux ni moins bon que le numérique, ce sont juste deux outils différents comme peuvent l'être un crayon à papier et un stylo bille: leur usage dépend du résultat que l'on souhaite, seul ce critère est pertinent pour les distinguer.
L'image argentique n'est pas la même que l'image numérique dans sa texture, sa tonalité, son atmosphère, mais les deux sont des images. L'image reste un agencement de formes et de teintes de lumière délimitées par cadre. La construction de l'image est donc la même (délimitation d'un cadre et sélection d'une lumière) quelque soit la manière de la réaliser, mais seule l'image réalisée peut-être considérée indépendamment de celui qui l'imagine et devenir un objet à part entière. C'est pour cela que le viseur de champ et la cellule sont les seuls véritables outils dont a besoin le réalisateur, ensuite le choix de la technique peut-être déterminé de manière pertinente.

Au lieu de courir les vieux lièvres des anciens et des nouveaux, de l'argentique et du numérique, il serait souhaitable de commencer à se poser la question de l'image à proprement parler. Hélas, ce n'est trop souvent pas en ces termes que se pose le débat, ce qui donne les films qu'on nous donne à voir...

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