mardi 18 mai 2010

Le dilemme de la captation.

Comment filmer le spectacle vivant?

Toute la question est dans la notion même de “captation" avec le paradoxe qu'elle soulève de vouloir figer un instant, pérenniser une performance. Le spectacle vivant, par définition est soumis aux aléas des circonstances de la représentation, ou, pour être exacte, de la présentation, car chaque jeu sur scène est différent de tout autre et chaque soir la pièce est créée ou recréée. Le spectacle vivant, parce qu'il est vivant s'écoule avec le temps: on ne peut jamais voir deux fois la même pièce.

La captation utilise un support qui permet de fixer l'instant de sorte qu'il puisse être présent au futur et donc jamais passé. Contrairement au spectacle vivant on voit toujours le même film. S'il diffère c'est ou bien que ce n'est pas le même (le montage a été modifié par exemple) ou bien cela est lié aux circonstances de projection (un DVD rayé ou un projecteur qui s'enraie) mais non au film lui-même.
Un film est abstrait, il découpe le temps pour le contraindre et saisir l'image des choses pour les rendre atemporelle. L'homme meurt, pas son image.

Comment concilier ces contraintes?

Deux options se dessinent: la première consiste à prendre le parti de l'instant et de filmer la performance sous forme de témoignage: ça s'est passé ainsi. L'idée sera donc de prendre en plan large la scène de manière à incorporer dans le cadre les circonstances particulière, en particulier le public. Les imperfections du jeu voire de la captation elle-même rendront le caractère fragile du spectacle vivant. Cependant cette méthode n'est pas à proprement parler une captation du spectacle, mais un témoignage de celui-ci. Ce n'est pas le spectacle que l'on montre mais une performance en prenant en compte les circonstances qui si elles sont importantes pour le spectacle ne sont pas pour autant incluses dedans.

Une seconde option, plus radicale, consiste à séparer complètement la performance de ses circonstances en jouant hors contexte la pièce, c'est-à-dire spécifiquement pour la caméra. L'éclairage n'est pas alors celui de la représentation publique mais adaptée aux nécessités de la caméra, et le jeu d'acteur lui-même est accommodé aux besoins du cadrage. Cette technique vise à adapter la représentation au film et de la transformer en théâtre-filmé. Cette méthode est proche de celle de l'enregistrement d'un morceau de musique pour le disque: on joue en studio ou en milieu adéquat pour la mise de son et d'image ici et étalonne le montage au tournage quitte à faire différente prise pour les meilleurs raccords. La spontanéité est perdue au profit de la qualité et ce qui est montré est en quelque chose la quintessence du spectacle ou sa représentation la plus abstraite au sens de la moins dépendante de toute contingence extérieure à la pièce elle-même. Si la qualité de la captation est indéniablement supérieure, l'essence du spectacle vivant est quelque peu perdue pour ne pas dire tout à fait ignorée. La question est alors de savoir pourquoi ne pas aller franchement plus loin en tirant un véritable film du spectacle. Quoi qu'il en soit il est difficile encore de parler de captation.

L'entre-deux est de tenir compte des circonstances tout en montrant que le spectacle ne se résume pas à elles et ne s'y réduit pas. L'idée est alors de filmer le spectacle à travers différentes représentations et de faire en montage de celles-ci. La fragilité du spectacle se retrouve dans le montage avec les différences de jeu et de circonstance. En montrant que la même pièce (mêmes acteurs, même texte...) peut se tenir dans différentes circonstances ou variations de celles-ci, il est possible de faire ressortir le noyau dur de la pièce, commun à chacune de ses présentations ou représentations.

C'est donc en forçant les contraintes du spectacle vivant et du film que l'on peut parvenir à un compromis qui, comme tout compromis ne garde pas nécessairement le meilleur de chacun, mais qui a au moins le mérite de proposer quelque chose de constructif.

Mais c'est parce qu'il reste une insatisfaction lorsqu'on adopte le point de vue de l'un ou de l'autre que la question ne peut être tranchée de manière définitive.

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