vendredi 25 avril 2008

Qu'est-ce qu'un documentaire?

Qu'est-ce qu'un film documentaire? Contrairement à la fiction, car on oppose systématiquement le documentaire et la fiction, le documentaire traiterait du réel. Je ne pose pas la question de ce qu'est le réel... Alors que la fiction maquillerait la réalité et/ou la vérité sous des fards afin de nous la rendre plus attractive, le documentaire nous la monterait crue et nue. Mais alors, le documentaire, le vrai, ne serait rien autre qu'une image brute sans montage ni cadrage? Cela ressemble fort au couteau sans lame auquel il manque le manche de Lichtenberg. Même la séquence “No Comment" d'Euronews montre quelque chose et décide de la réalité.

Cette notion d'abstraction, d'effacement de soi devant la réalité afin de mieux la voir est un lieu commun intenable comme un paire d'yeux qui se verraient elle-même sans le truchement d'un miroir et sans loucher. Mais bien plus encore que cette contradiction, quand bien même cela serait possible, quel en serait l'intérêt?

La réalité en soi ne pose jamais problème, elle est et c'est tout. Ce qui pose problème c'est de la voir (au sens générique du terme), de la comprendre, de l'interpréter.
Un même fait peut est lu de manières différentes et contradictoire en fonction des points de vues, des connaissances, des désires, des croyances ou des aspirations. La réalité en elle-même ne donne pas son interprétation car elle s'en moque et ne lui appartient même pas. Ce qu'il y a de difficile c'est d'avoir un point de vue sur les choses. Celui qui n'en a pas ne voit rien, celui qui voudrait avoir le plus large possible est aveugle. Il faut un juste milieu entre la cécité et l'aveuglement. Le sage timoré prendra systématiquement la tangente afin de rester en dehors ou au milieu, l'irresponsable penchera d'un côté ou de l'autre, le réfléchi réfléchira avant de choisir la position, le sceptique n'en prendra pas, le cynique rira des autres. Mais ce qu'il faut c'est se décider, et c'est ça le plus difficile, car c'est s'engager et par conséquent devenir responsable: de son point de vue et de la réalité à travers le relief qu'on lui donne.

Le documentaire en tant qu'abstraction et retrait est pleutre et inutile. Ce qu'il faut c'est un engagement. Mais un engagement rationnel et effectif. S'engager ne signifie pas s'aveugler, mais voir, observer et réfléchir, et c'est difficile.
Le documentaire qui montre la réalité est en fait un document. En tant que document il est un engagement, un engagement dans la réalité et dans l'histoire, mettons-y même un grand h, l'Histoire, car ce sont les documents qui nous permettre de retracer la vision du monde de nos aïeux et d'en révéler, comme en photographie, la réalité, leur réalité, mais qui ne fut qu'une compréhension de ce qu'ils avaient sous les yeux.

Un document est une thèse sur le monde, c'est le constat d'un point de vue, d'une perspective, c'est dire: “tiens, voilà ce que j'ai vu", et dire cela c'est dire “cette portion de réalité a attiré mon attention suffisamment pour que j'ai envie d'en parler à quelqu'un autre". La réalité apparaît alors et dans cette apparition (phénoménale pour ceux qui aiment ce terme) apparaît aussi le besoin de comprendre et d'interpréter. Les noumènes kantiens sont creux et vides, ce qui importe ce sont les phénomènes et cela forcent l'esprit à se mettre en branle pour savoir de quoi il en retourne.
Le document c'est ça, le documentaire doit être ça.

Mais je le répète et le souligne: un point de vue se construit. Il ne s'agit pas de dire ou de montrer n'importe quoi sous prétexte que c'est un documentaire ou un document. Non, ce qu'il faut c'est réfléchir, réfléchir vraiment, construire son point de vue pour qu'au final on se dire “ah oui, c'est ça la meilleure interprétation possible, ça doit donc être comme ça et pas autrement". C'est un véritable travail. C'est ça un documentaire.

Aucun commentaire: