mardi 29 avril 2008

Qu'est-ce qu'un film?

Un jour je me suis posé la question: mais qu'est-ce donc qu'un film?
Une partie de mon cerveau s'est tout de suite emballée dans la voie de l'ontologie formelle en tentant de définir un film par ses limites, ses fonctions, la représentation et la sémiotique, mais c'est une partie qui gamberge souvent sans direction bien précise. Or il doit y avoir une réponse simple à une question aussi simple.

Évidemment, je pose encore cette question dans la perspective des autres, vis-à-vis du scénario. Faire un film demande une équipe de cameramen, de maquilleurs et d'acteurs, un réalisateur, une production, des câbles et/ou de la pellicule et tout cela tout cher pour ne pas dire très cher et évidemment on ne fait pas un film comme ça à la légère. Un film commence généralement par une production qui décide de mettre de l'argent dans un projet qui lui paraît tenir la route et c'est à ce moment là que l'équipe de tournage va se mettre en branle. Il ne viendrait jamais à l'idée de quelqu'un de sein de faire travailler quelqu'un sans le rémunérer, donc il ne viendrait pas à une production d'engager un cameraman sans le payer. Or, comme on l'a dit, on n'emploie pas quelqu'un comme ça à la légère surtout s'il s'agit de le payer. Au commencement, vous avez bien noté qu'il y a une production qui accepte de miser de l'argent sur un projet qui tient la route. On repasse lentement “sur un projet qui tient la route", vous notez le détail? “projet qui tient la route".
Qu'est-ce qu'un projet qui tient la route? Et bien tout simplement un film tournable et réalisable, qui permette d'embaucher une équipe et de le vendre dans des salles. Mais comme vous l'avez aussi noté, une production ne s'engage à mettre des sous sur la table que lorsque le projet tient la route. Comment un projet tient-il la route? Je veux dire, comment un projet existe-t-il avant la production? Cette question est, vous l'avez reconnu, la sacro-sainte question de la poule et de l'œuf, qui vient en premier, à ceci près qu'ici la question a été tranchée: il y a d'abord l'œuf. Peut importe comment il est arrivé là. La question du “projet qui tient la route" est celle de l'origine de l'œuf.

Je reste convaincu, mais c'est une opinion personnelle, qu'un film naît, en partie, d'un scénario. Un scénario est quelque chose d'à la fois très précis et très vague. C'est un ensemble de pages qui contiennent des indications scéniques et des dialogues qui seront mis en mouvement par l'image et le jeu d'acteur. Mais ce texte là, fini pourrait-on dire qui va donner lieu à son interprétation par l'image et le mouvement, est lui aussi issu d'un processus de création long et fastidieux qui en définitive se ramène à une vague idée dont il est le développement. Comme écrire un livre, écrire un scénario impose de réfléchir, de lire, de regarder, d'écouter et de voir beaucoup. La pensée est essentiellement, ontologiquement pour faire pompeux, intrinsèquement temporelle. S'il y a quelque chose qui échappe complètement à la quatrième dimension, c'est la pensée: elle exige du temps et se méfie de toute immédiateté et spontanéité. Comme disait Hemingway: “The first draft of anything is shit". Triste mais vrai. Tout travail de la pensée mérite et exige réflexion, pâle tautologie, et il faut travailler, travailler et retravailler chaque mot, chaque phrase et chaque page pour qu'à la fin tout devienne simple, clair et limpide et que le lecteur, l'auditeur ou le spectateur ressorte de là en se disant que c'est facile d'écrire un film, tout découle, il suffit de dérouler la bobine. Mais bon dieu que c'est difficile! Less is more.

Revenons à notre omelette. Imaginons, pur raisonnement par l'absurde, que tout film commence par un scénario. Si c'était le cas alors le scénariste, en charge du scénario, devrait est compris dans l'élaboration du film, du moins son travail devrait faire partie du travail du film, je veux dire, être pris en compte dans la production. Or les productions ne financeraient et ne financent jamais un film sans scénario (bien que parfois elles prennent pour un scénario ce qui n'en est pas un, cf. supra), par conséquent elles demandent un scénario avant de financer quoi que ce soit, donc le scénario ne fait pas partie de la constitution du film. CQFD.

Faux, mensonges me dira-t-on, ceci est calomnie puisque le scénariste est rémunéré et apparaît au générique, donc il fait partie du film! C'est vrai, mais c'est a posteriori. La production qui trouvera qu'un projet tient la route achètera le scénario, c'est-à-dire le projet (peut-être pas le scénario définitif), mais le projet existe déjà indépendamment de la production en question. Ne sont payés en fait que les bons projets, ceux qui tiennent la route et pas la multitude des autres.
Très bien clappera-t-on, magnifique, qu'elle merveilleuse illustration de la vie, de la sélection naturelle, du plus pur darwinisme! Seuls les meilleurs scénarios existent les autres s'étiolent et se froissent dans les corbeilles avant même d'avoir pu se reproduire! Magnifique!

Soit. Donc les bons films sont des générations spontanées. Le fruit du hasard. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard que bien souvent les réalisateurs soient leurs propres scénaristes ou producteurs. C'est vrai, c'est un fait et c'est bien que seuls les meilleurs survivent. Pas de Mozart qu'on assassine, seuls des gueux qui se prennent pour des génies.

C'est vrai et c'est tant mieux, mise à part que la sélection pourrait encore être meilleure si elle ne sélectionnait pas ses vainqueurs parmi le plus haut sur le podium mais un peu avant dans la compétition. Si elle disait, bon, je fais le parti de vous aider un peu en 16e de finale disons, et maintenant je lance la compétition. La compétition serait plus rude car les participants plus vaillants, et si le vainqueur est le même au final il s'est d'autant mieux battu qu'il en ressort plus vif, plus fort et meilleur. Il y aurait tout simplement une compétition, une émulation.

Imaginons une production qui au lieu d'acheter un projet qui tient déjà la route et dise qu'elle choisira un ou des projets parmi des projets qui lui paraissent prometteurs. Tous ces projets ne tiendront peut-être pas tous la route, certes, mais certains la tiendront, peut-être plus d'un et peut-être que le vainqueur sera encore mieux car aura bénéficié de meilleurs conditions pour s'épanouir. Peut-être. Cela marche sur le papier, peut-être pas dans la réalité. Quoi que si cela marche aux États Unis, peut-être que cela marcherait chez nous et peut-être que nous verrons plus de films, de documentaires et de production qui tiennent effectivement la route plutôt qu'un modeste chemin non carrossable ou pire, une impasse.

Je ne sais pas pourquoi j'en suis venu à me dire cela: mais j'ai bien envie de faire commencer un film au scénario.... Utopie, utopie...

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