mardi 7 avril 2009

La distance avec le sujet

Dans un petit restaurant autours d'un couscous. L'un des convives, par ailleurs étudiant en première année de philosophie explique pourquoi il dévore des yeux la viande dans le plat au centre de la table: il est devenu végétarien. Ses raisons sont un peu obscures et confuses, elles tournent essentiellement autours de la maltraitance des animaux. Par provocation je lui dis qu'il doit alors admettre que tout ce qui vit à une âme (enfin, cela vient après un raisonnement un peu plus construit) et donc s'abstenir aussi de manger la semoule. Il prend tout cela au sérieux et cherche des contres arguments.

Il me parle d'une secte quelque part en Inde qui ne mange que ce qui tombe des arbres, il a oublié le nom et le cherche. Toujours provocateur je lui demande si ce ne sont pas les newtoniens. Un bref moment d'hésitation puis il éclate de rire.

Nous discutons un peu sur ce que peuvent bien manger ces hommes-là et il me dit que c'est un peu trop restrictif à son goût. Mais il suffit de mettre tout ce qu'on veut manger dans l'arbre et de le secouer, ou d'attendre qu'un enfant y soit grimper, de secouer l'arbre et de lui dire, avec des gros yeux bien effrayant que s'il ne veut pas qu'on le mange il faut qu'il aille nous chercher du chocolat au supermarché.

En fait, dans toute situation il y a une manière de la tourner de sorte qu'elle paraît moins exiguë qu'il n'y paraît. L'inverse est aussi vrai.


Dans cette discussion ce qui a le plus surprit le végétarien et qu'il soit possible d'être ironique à partir de choses sérieuses. Il a tendance à croire que la philosophie est une chose sérieuse.

C'est peut-être cela qui définie la force dans une discipline: la capacité à prendre de la distance avec le sujet.

Bien entendu cela n'a rien à voir avec la grandeur d'esprit mais c'est une attitude fort utile. Je me souviens au début de mon enseignement, encore idéaliste vis à vis de la philosophie, je ne supportais que difficilement que des étudiants puissent remettent en cause ce que j'admirais tant dans un raisonnement ou dans une œuvre.

À force d'entendre des âneries et de se prendre des coups on fini par comprendre que ces projectiles n'atteignent pas leur cible car ce ne sont que des tirs à l'aveugle plus défensifs qu'offensif. Une fois cela comprit la stratégie est beaucoup plus simple, calme et efficace.

J'admire, dans le fond, la candeur et la naïveté dont on fait preuve en première année encore. Idolâtrant quelques auteurs, violemment virulent contre d'autres, encore en quête d'une vérité que l'on pense pure et absolue.

Avec le temps et les coups on comprend que la chose est plus simple car plus complexe. On comprend aussi que l'existence reste indépendante de la fonction et de la discipline. On fait la part des choses, on se prend moins au sérieux, et en définitive c'est comme cela qu'on arrive à aller plus en profondeur là où d'autres ne pensaient même pas aller, aveugler qu'ils sont par la lumière.

Prendre un peu de distance avec le sujet pour se donner au moins l'espace d'en rire ou de l'admirer...

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