mercredi 17 février 2010

L'éducation a-t-elle un coût?

Étrange de poser la question alors qu'on enseigne dans une école privée, certes, mais ce n'est pas le sens premier que je voudrais soulever.

Si je pose la question c'est que de temps à autre je me demande pourquoi j'enseigne. J'aime l'enseignement. Bizarre de dire cela comme ça mais c'est vrai. Je le sais parce que je ne peux m'empêcher d'enseigner, ne pas enseigner me manque. J'aime enseigner aussi dans des structures peu conventionnelles ou moins conventionnelles que l'Éducation Nationale. Peut-être est-ce par souvenir de ma scolarité ou bien par crainte de passer ou de rater les concours. Peut-être. Je crois surtout que c'est la liberté de programme et de contraintes administratives que j'aime le plus, cela donne plus de temps à consacrer aux étudiants et plus de sens à l'engagement aussi.

Il n'y a pas de cours pour apprendre à enseigner. Au début, au premier cours, on est parachuter de l'autre côté du bureau et il faut se lancer. Ce n'est pas évident. La peur nous taraude le ventre, une peur un peu confuse, la peur du regard des autres, des collègues, des anciens professeurs, des étudiants, la peur de ne pas savoir, la peur de ne pas faire face, juste la peur. Peu à peu ce sentiment disparaît. Le trac reste bien sûr, mais moins de peur. Le métier entre, nos habitudes aussi. Le petit rituel avant le cours pour se mettre en condition. Bien sûr reste le sentiment amer de honte après un mauvais cours quand on n'est pas dans son assiette, fatigué, que finalement le cours que l'on croyait avoir suffisamment préparé.

À force l'étudiant devient plus clair, plus compréhensible, son comportement et ses réactions plus lisibles et il devient plus facile d'y faire face. Au début toute entorse à la discipline est un affront difficile à digérer. Peu à peu on comprend qu'en fait le contenu est secondaire. Bien sûr qu'il est nécessaire est important, mais que ces accrocs ne sont pas des manques de respects mais plutôt des failles dans l'édifice de la compréhension: l'apprentissage passe avant le savoir. Apprendre à savoir avant de savoir quoique ce soit. Alors la perspective change et l'on comprend que la matière n'est pas un bloc à pousser entre le bureau et les étudiants, mais qu'il faut véritablement les y amener, la faire vivre, naître ou renaître devant eux comme un tour de magie toujours aussi fascinant pour qui le découvre. Donner envie, donner envie, donner envie. Convaincre que la motivation est le bon côté de la force. Rassurer, rassurer, rassurer. Ensuite, le savoir ils vont le chercher tout seul d'eux-mêmes pour peu qu'on en ait baliser le chemin.

Convaincre et rassurer. On n'est pas un psychologue quand même! Et pourtant c'est bien là la clé du mystère. Un étudiant ça s'amadoue, ça s'apprivoise, et dès qu'il est en confiance alors il peut accepter de prendre le risque de découvrir. Les Christophe Colomb ne sont pas monnaie courante et qui irait de lui-même se jeter dans l'inconnu, délaisser son savoir pour le remettre en question ou en endosser un autre? Apprendre n'est pas évident, ils nous le rappellent, on l'avait oublié.

Le métier s'acquiert sur le tas, ce qui ne veut pas dire qu'il ne pourrait pas s'apprendre. D'ailleurs, avec le recul, on l'a bien appris, par mimétisme de professeurs qui nous ont marqués et fascinés. Volontairement ou non c'est bien à eux que l'on essaie de ressembler, c'est bien notre propre émerveillement que l'on cherche à susciter chez nos étudiants. C'est éprouvant et difficile et ça ne marche pas tout le temps, pour ne pas dire pas beaucoup en fait, s'il fallait être réaliste.

Mais un rien sur ce parcours est un succès incommensurable. Une question sincèrement curieuse est un Grall. Un saut de sourcil d'un point compris est un feu d'artifice qui redonne sens à cette vocation dont on vient parfois à douter. Et ça n'a pas de prix. D'un côté comme de l'autre du bureau.