vendredi 19 février 2010

La question du stress.

Le stress revient sur le devant de la scène (site du ministère du travail). C'est une arme classique et communément utilisée pour affranchir un subordonné et marquer son autorité, pour ne pas dire son emprise dessus.

La faute incombe évidemment au supérieur. L'usage du stress est une marque de faiblesse, une incapacité à structurer une situation, y faire face et par conséquent d'établir une stratégie efficace et concertée (passant donc par le dialogue et l'échange d'arguments rationnels). Si les subordonnés sont stressés alors les dirigeants le sont également et donc tous subissent les circonstances au lieu d'y participer pleinement. C'est un constat, presque une lapalissade.

Il est facile de trouver des exemples autour de soi. L'état de stress des étudiants dans l'école où j'enseigne est assez important voire préoccupant dans certain cas. Cela se manifeste par de la désorganisation dans le travail (absence, non-rendu), par des troubles du comportement (fatigue, excitation, boulimie) voire plus grave par des troubles psychologiques ou physiologiques (angoisse, insomnie, démangeaisons cutanées, etc.)

Le temps de travail est un facteur important: trop lourd et mal structuré il favorise une fatigue latente très difficile à récupérer et qui finalement use les organismes comme les esprits. Après deux ans d'études les étudiants semblent avoir vieilli de cinq. Les rythmes de travail donc mais aussi les quantités. Avoir 8 heures de cours dans une journée est une chose, avoir 5 heures de travail ensuite en est une autre. 12 heures de travail et d'attention est beaucoup, trop, pour un être humain normalement constitué pris dans des obligations sociales qui plus est.

L'équipe d'encadrement porte également une part de responsabilité, notamment par un manque de coordination ou de visibilité d'ensemble. Voir les étudiant deux heures par semaine ne signifie pas qu'ils ne travaillent que deux heures par semaine (l'inverse est vrai, ce n'est pas parce qu'un prof enseigne deux heures qu'il ne travaille que deux heures). Plus de coordination donc (les cahiers de classe doivent avoir, je présume, cette volonté sans qu'elle fonctionne dans la pratique). Plus de visibilité également. Je suis frappé de constater combien d'étudiants ne savent pas pourquoi ils étudient, à long ou moyen terme, mais également et surtout à court terme. Ils ne perçoivent pas de finalité ou de direction dans ce qu'on leur enseigne et donc perdre facilement le fils, donc l'attention, donc la concentration, donc la capacité à travailler, donc finissent par décrocher. Mais si dans l'absolue chacun devrait être mettre de son destin comme un capitaine de son navire et donc devrait être en mesure de répondre seul à ces interrogations, dans la pratique les choses ne marchent pas ainsi. Il incombe donc au capitaine de rameuter ses troupes de temps à autre et de leur donner des directives claires et motivantes pour mener à bien l'opération qu'il a planifiée. Cela implique donc que la planification n'est pas la direction, les directives ou les motivations, évidemment. Un chef de guerre ne dévoile jamais ses plans même à ses propres troupes, mais il leur donne des objectifs qui permettront de les réaliser, cela va s'en dire.
Donc l'enseignant, dans ce cas précis, doit expliquer quels sont les objectifs, où les étudiants vont être conduits et pourquoi. Faites l'expérience et vous verrez le changement radical dans le comportement de la classe et des élèves individuellement: tout devient calme et sérénité, et le travail s'en ressent grandement.

Si les dirigeants ont leur responsabilité, les subordonnés également. La Boétie, dans son discours De la servitude volontaire insistait déjà sur la propension des subordonnés à se croire affranchis de toute responsabilité et finalement d'être passif. Un être humain privé de sa responsabilité est ou bien un esclave ou bien un fou (pour faire vite). L'esclave n'a pas son mot à dire et guère plus de droits, en particulier celui de se plaindre de sa situation. Idem pour le fou. Si donc les subordonnés veulent plaindre du traitement qui leur est réservé, libre à eux, mais qu'ils endossent les responsabilités qui leur incombent. Ils peuvent signaler les dysfonctionnements, les dérèglements, les inconsistances ou incongruités du système dont ils font partis. Ils peuvent éventuellement proposer des aménagements ou des améliorations ou demander des compensations. Mais surtout ils doivent être en mesure de se positionner eux, en tant qu'être humain raisonnable pourvu de droits et de possibilités. Ils doivent se demander quelle part de responsabilité ils veulent et peuvent assumer dans le système et quel rôle ils veulent tenir dans celui-ci. Plus humainement encore ils peuvent se prémunir contre ces pressions extérieures en connaissant leurs intentions, leurs projets personnels, leurs capacités et leurs limites. Ils doivent, parce qu'ils le peuvent, endosser toutes leurs responsabilités en tant qu'humain rationnel. Ils peuvent résister au stress simplement en ne tenant pas compte de directives inconsistantes sachant pleinement qu'elles seront mises à mal par leur simple formulation. De l'insubordination? Non, de la rationalité. Une critique n'en est pas une si elle n'est pas consistante et constructive, donc si elle ne répond pas à ces critères minimums de rationalité pourquoi devrait-on en tenir compte? Utopique? Non dans la mesure où ces directives ne sont pas données un pistolet sur la tempe (ce qui tend à priver la faculté de choix et de responsabilité et donc à ramener au statut d'esclave). Demander des raisons n'est certes pas toujours chose simple mais elle est rationnelle et raisonnable, plus, bien plus, que de se plier à des directives floues ou absurdes. Là encore, faites l'expérience: demandez des explications lorsqu'une directive ne vous paraît pas rationnelle. Plus qu'une engueulade c'est une déstabilisation qui se constate chez votre interlocuteur, parce que s'il est rationnel il sait parfaitement que sa demande est absurde, sinon il va s'en apercevoir à votre remarque ou bien encore ne pas comprendre de quoi il s'agit et son propre stress va apparaître au grand jour, ses faiblesses avec.

La raison est moins pénible ou aride qu'il n'y parait, et finalement est l'état le moins stressant dans lequel vivre, simplement parce que le stress n'y a pas sa place, pas de rôle à jouer.

Cela implique de se connaître soi-même, ce qui est un véritable travail en soi plus difficile que ne le pensent ceux qui n'ont jamais voulu y songer sérieusement. Mais c'est aussi quelque chose qui doit s'apprendre et donc s'enseigner. L'école est aussi là pour cela. Cela implique évidemment que l'enseignant lui-même ne soi pas stresser.

Le stress est donc véritablement un obstacle sérieux, mais les mesures pour y remédier ne peuvent venir d'en haut (ni plus d'en bas d'ailleurs) mais est un équilibre entre ce qu'en anthropologie Leroi-Gourhan appelle le “milieu interne" et le “milieu externe": entre l'espace cognitif de l'individu et l'environnement dans lequel il évolue. C'est un véritable programme existentiel, mais rien d'autre en fait que de vivre comme un être humain.