lundi 18 février 2008

Question de format

Reuters nous apprend que le Blu-Ray de Sony gagne par abandon sur le HD DVD de Toshiba. L'histoire se rejoue et un format en efface un autre. Les conséquences ne sont pas minces, toutes les machines équipées de lecteurs et de graveurs DVD vont bientôt se trouver aussi caduques que les platines vinyles, les lecteurs cassettes ou vidéo. L'avenir se prédit même semble-t-il sans aucun support autre que des ondes immatérielles avec la vidéo en ligne à la demande, les téléchargements de musiques, d'images et de films et le contenu en ligne, comme en témoignent les derniers ordinateurs portables.

Sans vouloir jouer les vieux jeux, j'aime encore le son de ma vielle platine vinyle et garde toujours la même surprise d'entendre que la musique s'arrête plus rapidement qu'avec mon iPod, qu'il faut physiquement tourner le disque avec la secrète impression de tenir dans mains un “morceau" de musique, doucement palpable au fond ces sillons du bout des doigts. J'avoue filmer encore en 16 mm et de développer ces mètres de pellicule dans des seaux. Cela ne m'empêche pas de les téléciner en numérique et de les monter sur ordinateur, mais j'aime le scintillement rythmé du projecteur et son tac-tac caractéristique, j'aime aussi l'idée de devoir faire attention à la lumière, à la prise de vue, d'entendre le film s'enclencher et se dérouler dans un tschic-tschic d'horloge Suisse, j'aime l'impression de “tenir" une image, de tenir une seconde dans la main, j'aime aussi, et surtout que l'image ne soit pas “gratuite" qu'elle demande à être pensée, construite, que la filmer demande du temps, de l'attention, de la réflexion. J'aime l'idée de l'irréversibilité du temps, qu'il ne soit pas possible d'effacer aussi facilement que d'appuyer sur une touche pour “perdre" des images. Avec la pellicule il me semble que l'on perd moins son temps car il est difficile de revenir en arrière, ce qui oblige d'aller de l'avant. Le numérique est fantastique mais il ne remplace pas l'argentique en cinéma, il le complète, le prolonge, mais ne le remplace pas.

Mais outre cette temporalité qui n'est pas la même, outre cette sensation physique qui est différente, c'est la question de la mémoire qui m'interpelle. La différence entre mes archives numériques et mes archives papiers est que j'arrive à me représenter les dernières mais beaucoup plus difficilement les premières. Cela n'est pas nécessairement inhérent au support ou au format mais peut-être simplement à mon espace cognitif ainsi fait. Mais il reste que je suis attaché au livre papier, au film pellicule ou même simplement à la sauvegarde sur disquette, cassette, CD ou DVD. Maintenant il me faudra les faire en Blu-Ray disques. Ce n'est pas une question de paranoïa, pas une question de craindre qu'un jour, par inadvertance, malveillance ou défaillance la grande toile d'information s'enraye, déraille ou s'éteigne et que tout ce monde virtuel disparaisse mais aussi pour moi, simplement pour m'y retrouver, pour savoir où j'ai rangé telle ou telle chose, sous quelle pile, sous quel livre, sur quelle étagère pour que tout ce monde qui est le mien se rattache d'une manière ou d'une autre à ma chambre et ma maison.

Carl Th. Dreyer raconte qu'une copie de Die Gezeichneten a été par hasard en Russie et offerte au Musée du cinéma de Copenhague (Cahier du cinéma n°170, septembre 1965). Quelle sensation cela doit-il faire de retrouver, de son vivant, le dernier exemplaire d'un œuvre que l'on croyait perdue! J'ai croisé aux confins des latitudes habitées un vieux cinéma dans une ville fantôme. Il y avait encore un film dans le projecteur silencieux. Des pilles de vieux films préservés par les conditions climatiques. Mais peut-être y a-t-il là des films que l'on ne soupçonne même pas, peut-être des dernières copies avant l'oubli.

Ce qui me préoccupe le plus, c'est l'oubli. Il y a tant de choses, sous tellement de formes différentes qu'il est matériellement difficile de toutes les retenir et de pouvoir toutes les lires tant les formats évoluent, diffèrent et se perdent. La technologie a fabuleusement compliqué le travail des archivistes de Babel. Comment préserver une trace de toutes ces informations? Comment ne pas oublier? Comment faire que l'avenir puisse se souvenir un peu de son passé?

Que l'on change de format tant qu'on veut, pour les raisons qu'on veut, mais qu'on ne garde qu'une seule mémoire: celle de tout ce dont il faut se souvenir.

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